ÉTRANGERS, MALADES ET SANS PAPIERS… LA LOTERIE !


Compte-rendu de la situation de Monsieur D. (CRA1) J+40 :
De la visite mercredi par Aline et Jacqueline à son expulsion le vendredi.
Monsieur D. 42 ans est algérien. C'est en appelant une des cabines du CRA1 le matin que nous entrons en contact avec lui. Après lui avoir exposé l'objet de nos visites, nous lui proposons une rencontre l'après midi. Il accepte bien volontiers tout en demandant si nous allons le faire sortir.

Nous nous présentons à 13H50 à la guérite et nous sommes tout de suite informées d'une attente d'une durée indéterminée en raison de la présence d'un consul algérien.
L'accueil est encore correct. Après diverses tergiversations entre les policiers de la guérite et du parloir et une longue attente de 1H35, nous sommes appelées et conduites par une fort désagréable jeune policière vers le local de palpation ; celle-ci est pratiquée avec grande précision et sans ménagement.
Nous arrivons au parloir, les policiers sont nombreux (5 ou 6 ), Monsieur D. est déjà installé à la table la plus près du bureau, il nous regarde fixement sans expression, le visage très creusé. Très vite il parle de sa sortie prévue le lundi à midi, nous demande de lui apporter un manteau et un pantalon, de lui fournir un billet de train pour Toulouse, sa ville de résidence depuis 2009, car l'un de ses deux frères ne veut lui envoyer l'argent nécessaire pour ce transport. Il nous demande également de l'accompagner à la gare car il ne connaît absolument pas Paris. Il parle doucement et avec une certaine lenteur, son regard nous fixe intensément, Lorsque nous lui disons : « Vous êtes très fatigué !». Il acquiesce et répond : « Je suis malade, c'est psychiatrique ». Et il revient sur sa sortie prochaine, ses besoins vestimentaires, sa demande d'accompagnement. Nous tentons de comprendre pourquoi il est au CRA Paris-Vincennes. Il nous explique qu'il était hébergé à Toulouse par une personne qui s'est radicalisée et qui avait accumulé des armes. Il n'en dira pas plus, rien sur les conditions d'arrestation ni sur son transfert vers Paris.
Il faut dire que l'attitude hostile des policiers à notre égard et leur proximité ne favorise pas le dialogue. Nous les sentons très à l'écoute.
Monsieur D. parle un peu de sa famille, son père décédé, sa mère malade et son frère au pays, deux autres frères en France dont un depuis 1999. Lorsqu'il était en Algérie il exerçait le métier d'horloger mais n'a pas trouvé de travail en France.
Puis il revient sur sa demande d'aide pour la sortie avec toujours cette attitude insistante et nous interroge sur un hébergement possible en foyer à Paris. Nous lui exprimons notre réserve quant à la saturation de ces lieux et évoquons avec lui la prise en charge médicale dont il bénéficie à Toulouse. Il est suivi dans un Centre par un psychiatre, a déjà rencontré l'assistante sociale, ne semble pas opposé à l'idée de reprendre les consultations là-bas et de retourner vivre près de ses frères. Il nous communique un prénom et un numéro de téléphone.
Il n'exprime rien quant à sa vie au CRA, ses journées, son traitement sans doute lourd. À deux reprises il demande si nous sommes une association.
Nous le quittons, sans savoir ce qu'il nous est possible de faire pour sa sortie mais avec le sentiment que cet homme, qui semble si fragile psychologiquement, ne peut se retrouver seul, désorienté à la porte du CRA. 
Simple impression ou réalité ?.
Nous décidons de contacter l'ASSFAM qui nous confirme la grande fragilité de Monsieur D. et le traitement très lourd qui lui est administré. Avec l'équipe il se montre tout aussi pressant, entre autre  en ce qui concerne sa sortie. L'ASSFAM nous suggère de contacter le frère avec lequel il est régulièrement en contact afin que celui-ci temporise.
Nous échangeons entre nous à propos de l'organisation de cette sortie et décidons de l’accompagner à la gare, après lui avoir fourni des vêtements et bien sûr son billet. Et c'est en voulant joindre Monsieur D. à la cabine du CRA1 qu'Odile apprend son expulsion dans l'après-midi du vendredi.
C'est la consternation dans le groupe. À aucun moment nous avions envisagé une telle fin de rétention. Comment peut-on maintenir enfermée 42 jours une personne en grande souffrance psychique, sans suivi médical adapté, qui peut à tout moment se mettre en danger, voire mettre l'entourage en danger et presque au terme de cette rétention l'expulser sans qu'il en soit averti apparemment.
Ceci est vraiment révoltant !!!


Monsieur I.
L’hiver, décidément, n’est pas bon pour les malades ! Peu après l’expulsion de Monsieur D., qui a bouleversé l’ensemble de l’Observatoire, je reçois un courriel : une bénévole de la Cimade, qui tient une permanence juridique dans le 19ème, me signale que Monsieur I., qu’elle suit, se trouve au CRA de Vincennes. Elle est extrêmement inquiète, car ce monsieur souffre de graves troubles psychologiques, l’enfermement - toujours néfaste - ne peut qu’aggraver son cas.
J’avertis immédiatement les membres de l’Observatoire, pour qu’on rende visite à ce Monsieur, qui doit passer devant le JLD samedi. Vendredi, Guy et Christine se rendent au CRA : ils ne peuvent pas voir ce retenu, il a été hospitalisé. Nous attendons avec anxiété le verdict du JLD : déception, ce dernier prolonge la rétention. Accablé, Monsieur I. refuse de faire appel de cette décision.
J’ai bien sûr pris contact avec l’ASSFAM, qui a fait tout ce qui est en son pouvoir. Dans ce cas précis, il faut demander la libération pour incompatibilité de l’état de santé avec la rétention : le médecin qui intervient au CRA a fait un certificat dans ce sens. Toutefois, la procédure ne s’arrête pas là : le certificat est transmis au médecin de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) et c’est ce dernier qui envoie son avis à la Préfecture. La Préfecture n’est aucunement liée par l’avis des médecins ( c’est ce qui s’est passé dans le cas précédent : malgré l’avis médical de l’OFII, la Préfecture a choisi d’expulser Monsieur D., pourtant gravement malade…). Mais cette fois, bingo ! la Préfecture a libéré Monsieur I. : nous nous réjouissons tous et espérons que Monsieur I. pourra obtenir une autorisation de séjour au titre « d’étranger malade ».
Plusieurs points sont à souligner dans ce scénario qui finit bien : 
  • notre Observatoire est assez connu, puisqu’une bénévole de la Cimade a fait appel à nous. Nous ne pouvons que constater combien le travail en réseau est payant pour obtenir des renseignements, faire pression etc. ;
  • il se trouve que nous n’avons jamais rencontré M.I. !
  • nous ne pouvons que déplorer, une fois de plus, le pouvoir discrétionnaire de la Préfecture : les cas de Monsieur D. et celui de Monsieur I. sont semblables, mais l’un a été libéré, l’autre pas…

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