Yacine et Walid, déterminés à attenter à leur vie plutôt que d'être expulsés

Les contrôles de police semblent avoir été encore plus nombreux ces derniers temps et beaucoup de personnes arrêtées ! Sans doute, le résultat de la vaste opération de contrôle au niveau européen. Plusieurs personnes sont déjà présentes à l’accueil quand nous arrivons, ce qui est assez rare. Un couple avec un tout petit enfant. C’est le fils d’un monsieur camerounais que sa femme et son cousin sont venus visiter. Nous entamons la conversation, donnons les conseils que nous pouvons.
Colette indique l’adresse d’une association à Clichy-sous-bois, au cousin qui est aussi en situation irrégulière. Un monsieur, venu accompagner un ami libéré qui vient chercher ses affaires, est persuadé que le simple fait d’avoir un enfant de moins de trois ans est une raison suffisante pour que le père soit libéré. Il encourage la mère. Cela devrait l’être, mais malheureusement nous devons les détromper. Apparemment le consulat du Cameroun a signé un laissez-passer, bien que l’homme n’ait pas donné son identité. Son sort, et du même coup celui de sa femme et son enfant, semble scellé. Colette et moi ne disons rien. Bien que je m’efforce de ne pas le faire, je ne peux m’empêcher de penser aux conséquences de cette expulsion… C’est tellement inhumain, à l’image de tout ce que nous allons entendre lors de cette visite au CRA.



Yacine, tunisien, CRA 2, J+29

Quand j’ai donné le nom de ce retenu à la guérite, le flic de service s’est plaint de ce monsieur, disant qu’il était très difficile, agressif avec les policiers, une vraie source d’ennuis. Je lui ai fait remarquer qu’être enfermé en vue d’une expulsion était une situation difficile à vivre et susceptible de créer de l’angoisse. Un haussement d’épaule a été sa réponse. Pas son problème !

Yacine a été arrêté alors qu’il était en France pour 3 jours, venu rendre visite à quelqu’un. Il vit habituellement en Belgique avec sa compagne, enceinte de 7 mois. Il n’a pas encore régularisé sa situation là-bas, attendant le début d’un
travail promis. Il a déjà résisté à 2 tentatives d’expulsion. Une 3e est prévue dans 3 jours. 
Il est venu légalement en Europe avec un visa. Chose rare, nous fait-il remarquer, car cela coûte de l’argent et n’est pas facile à obtenir. Il a un projet de vie avec sa compagne, il est soudeur qualifié. 
Sa situation l’angoisse terriblement. Au point qu’il a demandé à voir un psychologue. Il a été emmené dans un hôpital, l’Hôtel Dieu ou peut-être St Anne, où un médecin est venu le voir en lui disant qu'il n'était pas fou, et en lui demandant de prendre du valium, chose qu'il a refusé de faire. Le médecin s’est montré arrogant et menaçant, arguant qu’il avait les moyens de l’obliger à prendre des médicaments. Yacine a alors été sanglé et couché sur le ventre et il a reçu une injection contre son gré. Il est resté un jour à l'hôpital pendant lequel il n'a fait que dormir, et ramené au CRA il a dormi encore une journée entière. Puis il a été emmené pour un premier vol vers la Tunisie. Il a évidemment refusé. L'effet de cette piqûre était tel qu'il a encore dormi toute une journée à son retour au CRA. 

Le second vol était programmé 2 jours plus tard. Il a fait semblant d'accepter pour ne pas être entravé. Il est descendu de la voiture. Un des policiers avait une caméra fixée à l'épaule et filmait la scène. Quand Yacine est arrivé à la passerelle, il a refusé de monter et s'est mis à crier. Devant le refus du commandant de bord de l'embarquer, la police l'a ramené à la voiture. Le policier qui filmait a arrêté la caméra. Une fois dans la voiture, Yacine s’est fait tabasser. La montre du policier qui l’a frappé lui a ouvert l’arcade sourcilière. Il a été emmené à l’hôpital où il s’est fait faire un certificat médical par le médecin. Il nous montre les traces de coups. S’il n’a pas encore déposé sa plainte, déjà prête, c’est que l’ASSFAM lui a conseillé d’attendre son passage devant le JLD, la veille de notre visite, pensant sans doute qu’il avait une chance d’être libéré… Mais la juge en a décidé autrement. Ce qu’il raconte est faux, et il s’est blessé lui-même !!! Sans commentaire...

Le visage ravagé par la colère et l’angoisse, il dit sa détermination à ne pas être expulsé vers un pays où il n’a plus personne, alors que sa femme va mettre au monde leur enfant et qu’un travail l’attend. Il sait qu’à la 3e tentative d’expulsion on ne lui laissera aucune chance ; il sera bâillonné et saucissonné. Il est donc déterminé à mettre sa vie en danger, à 80 ou 90% précise-t-il, pour y échapper. Nous le croyons.

Pour échapper à son 3vol, Yacine s'est laissé tomber du haut du grillage de la cour de promenade et s'est cassé la jambe. Il a finalement été libéré.



Walid, 38 ans, CRA2, J+11

Nous attendons bien un quart d’heure l’arrivée de Walid. Il marche très difficilement, se tenant au mur et la jambe gauche toute raidie. Il est venu, nous dit-il, parce qu’il s’y était engagé mais ne veut voir personne, ni ami, ni médecin ; il ne mange plus depuis 7 jours. Il a terriblement mal à l’estomac. Il a dans la tête d’en finir, se sentant traité comme un animal, victime d’une injustice qui l’humilie et ne tient aucun compte de sa situation. Il veut montrer par son acte comment la France, le pays des droits de l’Homme, le traite ainsi que d’autres comme lui. Comme le précédent retenu, son visage est ravagé par l’angoisse, les yeux plusieurs fois embués par les larmes, et il se dit déterminé. « Sa vie est foutue… »
Il était en fait sous contrôle judiciaire, et se rendait toutes les semaines au commissariat. Il a été arrêté Gare du Nord et conduit au CRA. L’Assfam pensait qu’il serait libéré étant donné ce contrôle judiciaire assorti d’une interdiction de quitter le territoire. Quand il est revenu du tribunal, l’Assfam l’a aidé à faire appel mais le résultat fut tout aussi négatif. 
Cet homme de 38 ans, en France depuis 4 ans, mais parti de chez lui depuis 8, qui supporte mal le bruit des plus jeunes retenus, ne dort pas avant 6 heures, ne se laissera pas expulsé, car, dit-il, il agira avant. Plus personne dans son pays, pas de famille en France.
S’il était sous contrôle judiciaire c’est conformément à l’ordonnance du juge à sa sortie de prison pour une faute, reconnaît-il, mais qu’il a lourdement payée (7 mois de prison). Il a suivi les injonctions du juge et il a été enfermé au CRA pour défaut de papiers, ce qui le rend complètement malade.


Il refuse ce que nous lui avons apporté, cela ne l’intéresse pas. Il ne veut rien ! S’il le prend ce sera pour le donner à quelqu’un qui n’a rien. Il emporte finalement notre sac, piètre consolation pour celui qui le recevra.

Il a lui aussi été libéré !

Que de souffrance inutile infligée à ces deux hommes.