Djamel, Hamed, Mounirou, Omar et les autres, les visites d'octobre 2013.

Lundi
Annick et Christine

Djamel, 23 ans, tunisien, CRA3, J+15
Quand Djamel entre dans l'espace visiteurs où nous l'attendons avec Christine, on pense aussitôt qu'il n'est pas du tout à sa place ici, avec son jean à la mode et son tee-shirt bariolé affichant le portrait d'un bluesman. Bien sûr, personne n'est "à sa place" ici, un centre de rétention, ce n'est pas une "place" qui devrait être. Mais face à la jeunesse de certains retenus, on se sent encore plus révolté face à l'inhumanité de la réalité, au cynisme de nos sociétés qui ce jour-là "pleurent" les centaines de naufragés au large de Lampedusa. Il est justement passé par là quelques années plus tôt. Originaire de Tunisie, il a pris un bateau en payant très cher un passeur, pour vivre ensuite 3 ans en Italie, en travaillant dur pour être payé très peu : 25 euros pour 12 heures de travail quotidien.


Il s'exprime difficilement en français, dit avoir perdu la pratique de la langue avec son séjour en Italie. Il est aussi très endormi. Pour supporter son quotidien au centre de rétention, il prend des cachets pour dormir, du Valium et d'autres calmants. Il a du mal avec l'ambiance, les tensions, les bagarres. Christine lui conseille de ne pas prendre les médicaments du centre, ou de faire attention, évoquant le manque qu'il ressentira en sortant. Le jeune homme évoque souvent Dieu, s'en remet à lui en toute chose, à tout moment de la conversation qui avance avec difficulté. Aujourd’hui il s’est réveillé vivant, demain il ne peut pas savoir, c’est Allah qui décide. Christine me dira plus tard que malgré les barrières de langues qui se présentent parfois, les conversations peuvent être néanmoins très riches, certains retenus ayant un tel besoin de s'exprimer, de raconter leur histoire, qu'ils le font à travers toutes les ressources disponibles du corps humain, gestes, expressions.


Ce jeune homme est passé par Marseille, puis par Nice dont 25 jours en centre de rétention là-bas, puis il est arrivé il y a quelques mois à Paris, et se retrouve à nouveau en centre de rétention. Il évoque aussi le centre de rétention de Turin où il était resté pendant 2 mois et demi : "Là-bas un jour c'est comme 30 secondes, alors qu'ici un jour c'est 24 heures". Ne sachant trop comment nous expliquer que la vie en centre ici est tellement moins "vivante" qu'en Italie. Là-bas, ça circule, du monde passe, on leur donne même des cigarettes tous les jours.


Le jeune retenu parle de sa famille, de sa mère qu'il n'a pas vue depuis son départ. Il aimerait rentrer chez lui en Tunisie mais dit ne pas pouvoir rentrer sans rien. Les amis ? Il ne s'en rappelle plus, ils lui semblent si loin. Une autre vie. Il a un frère à Nice, qui semble avoir des difficultés de couple, ce qui rendait son hébergement par lui impossible. Pas d'autre relation ici, pas d'expérience ni de passé, aucune chance de prétendre à des papiers. Et pourtant c'est son but : des papiers et du travail, quel qu'il soit. Quand on lui demande s'il a des envies, des rêves, il ne répond que par la nécessité de la survie.


Christine lui donne des gâteaux et des cigarettes. Le policier qui les vérifie les tend au jeune retenu et lui donne une tape amicale, bref témoignage d'empathie.
Le second jeune policier qui nous raccompagne au terme des 30 minutes réglementaires manifeste également une envie d'échange. Il demande à Christine en sortant qui nous sommes : "une association humanitaire" ? Il dit qu'il a entendu quelques bribes de la conversation évoquant l'éventuel besoin d'aide juridique et rappelle qu'il y ici une association qui est chargée de ça, l'ASSFAM. Christine lui répond qu'elle est là en tant que citoyenne pour manifester sa solidarité et sa fraternité avec les retenus, apporter une écoute attentive à leur histoire et aussi parce qu'elle n'est pas d'accord avec l'existence des centres de rétention et une loi qui enferme des êtres humains qui n'ont commis aucun délit, aucun crime. Le policier l'interroge: "Mais qu'est-ce que vous proposez alors ? Il faut bien que les gens respectent la loi." Quand le doigt montre la lune... Rodée à l'exercice, Christine évoque habilement l'absurdité d'un système qui se révèle totalement inefficace, puisqu'une minorité seulement de retenus sera finalement expulsée. Elle touche visiblement la corde sensible car le policier est soudainement tout à fait d'accord avec elle quant à l'inefficacité et au coût démentiel de la rétention et des expulsions. Dommage qu'il n'ait pas encore conduit sa réflexion jusqu'à admettre qu'il vaudrait mieux, pour tout un tas d'autres raisons plus humaines, supprimer ces lieux d'enfermement.

Annick



Étonnement, après notre première visite, la relève, féminine et plus nombreuse, emmène 4 visites à la fois.

Hamed, 23 ans, marocain, CRA 3, J+3
Jeune Marocain de 23 ans, arrêté à 5h du matin à la sortie d’une boîte à la suite d’un contrôle d’identité. Garde à vue de 36h, d’après lui sans justification. C’est quelque chose qu’il n’a pas signalé à l’ASSFAM. Je lui conseille de retourner la voir le lendemain pour parler de ce fait, on ne sait jamais.
L’ambiance du CRA n’est pas terrible. Bruits, tensions… La description est la même qu’habituellement. À l’occasion de son récit, j’apprends un nouveau mot : si la plupart de policiers sont corrects, il y en a un assez provocateur ; Hamed s’est vu interpellé par celui-ci parce qu’il écoutait de la musique de son pays, sortant de son portable. Apparemment ce policier n’appréciait pas. Il lui a dit de rentrer chez lui, au bled, et l’a traité de bledard.
Hamed parle assez bien le français. Il a fait un voyage d’un an pour arriver en France, en passant par la Turquie, la Grèce et l’Italie… À son arrivée en France, il y a 3 ans, il s’est installé à Toulon où il a son frère et des cousins. À Paris depuis 4 mois, il était monté chercher du travail, car à Toulon, il n’y a vraiment pas grand-chose. Il a vécu de petits boulots, peinture, pâtisserie, métier qu’il a appris au Maroc. Au pays il n’a plus que sa mère.
Il est sûr que le juge va le libérer samedi. Il n’a rien fait, il est juste sans papiers. Je lui explique avec précaution que ce juge là ne juge que la validité de la procédure. L’idée de peut-être rester 20 jours de plus dans le centre est difficile à envisager. Pourtant à Toulon il a déjà été contrôlé et n’a jamais été arrêté. Toutes ses affaires sont chez la personne qui le logeait. Il ne pourra pas y retourner à sa sortie, il est déjà remplacé par quelqu’un qui paye sa place (son logeur n’a pas perdu le nord…). Comme celui-ci est également sans papiers, il ne peut pas venir le visiter et lui apporter des vêtements. Comment va-t-il faire avec seulement ce qu’il a sur lui ? Et quand il va sortir, que va-t-il faire ? Je lui dis que je pense que dans le centre, l’association qui gère les jeux, les couvertures, etc., fournit aussi des vêtements. Il a l’air septique. Je me sens coupable d’annoncer de mauvaises nouvelles. Je lui promets de l’appeler pour savoir ce qu’a dit le juge. Je repars avec le sentiment que ma visite n’a pas été particulièrement une source de réconfort.
Avant de repartir vers la sortie, je suis assez choquée d’entendre le policier chargé de ramener les détenus, d’interpeler l’un d’entre eux, de type asiatique,  par un « eh, Chinois ! ».
Christine.



mercredi


Annick et Christine


Mounirou, 50 ans, ivoirien, CRA 1, J+6. 10 ans de présence en France.


Mounirou nous attendait dans le parloir quand nous sommes arrivées.
Après explication sur le but de notre visite, il exprime son ras le bol et sa fatigue de ses conditions de vie en France. Il est seul et n’a pas de famille.


Il a déjà fait un séjour de 15 jours au CRA de Bobigny en 2010.


Il a été arrêté dans un parc, alors qu’il attendait l’heure de son rendez-vous dans un hôpital parisien. Ce rendez-vous était destiné à examiner la possibilité de lui retirer les broches et plaques qui lui ont été posées dans la jambe gauche il y a un an, après avoir été renversé par une voiture, plaques qui le font souffrir. Il a également été opéré il y a quelques années de kistes au poumon et au rein. Il nous montre la cicatrice qu’il a sur le côté gauche.
Mounirou est arrivé en France en 2003. Il est venu du Mali avec un passeport malien et un visa, qu’il a payé, transport compris, 8000 €… On lui a même donné de l’argent de poche, mais arrivé en France, il a fallu le rendre ! Il y a un vrai réseau avec complicités et corruption dans les bureaux de l’administration, nous dit-il.
Mounirou a vécu aux USA de 1988 à 1993 et est retourné en Côte d’Ivoire ouvrir deux magasins de produits de beauté. Mais ses magasins ont été détruits lors des troubles en 1998. De confession musulmane, il était menacé et s’est réfugié au Mali.
En France, il travaille au noir dans le bâtiment, mais depuis les années Sarkosy, ses employeurs africains ont pris peur et sont partis nous dit-il. Les policiers viennent jusque sur les chantiers faire des vérifications d’identité. Dès lors sa survie est difficile et il dort à l’abri dans la cuisine d’un foyer aux Ulis, car sans papiers, il ne peut avoir officiellement une place.
L’assistante sociale de centre de soins où il a fait sa convalescence après son opération lui garde toutes les preuves de son séjour en France. Il n’a plus son passeport, perdu, à cause du mode de vie que la précarité lui impose. Nous lui donnons la liste des permanences. Toutes lui seront utiles, nous dit-il, puisqu’il n’a rien. Il n’a aucune famille en France, à part un cousin ingénieur. Ce n’est même pas la peine d’essayer d’obtenir son aide, il est si bien intégré qu’il est « plus que blanc » dit-il en riant.


Il a vu le JLD hier matin. Son avocate commise d’office a été de bon conseil et semble l’avoir bien défendu. Le JLD semble avoir pris en compte sa situation de santé. Ne pouvant ordonner l’assignation à domicile du fait qu’il n’a pas de passeport, il a ordonné une prolongation de 20 jours avec obligation de la visite d’un médecin dans les 48 heures, éventuellement secondé par un médecin spécialisé s’il le faut, pour juger de la compatibilité de son éventuelle expulsion avec son état de santé. L’avocate lui a suggéré d’essayer d’obtenir une carte de séjour pour raison de santé.


À la table à côté de la nôtre toute une famille, enfants compris, rend visite à un jeune retenu. Renseignements pris au moment de la sortie du CRA, il s’agit d’un jeune Sri Lankais. C’est le cousin des enfants. Il est arrivé en Europe par la Bulgarie. Il y a fait un séjour de 2 mois dans un CRA, où il a été très mal traité et battu. Cela fait 9 mois qu’il est en France.
En nous raccompagnant, le policier nous fait faire le détour habituel dans la cour, sorte de cartographie invisible mais incontournable, il nous explique que bien que la cour soit aujourd'hui déserte, nous ne pouvons traverser en son centre, c'est le lieu de commémoration où flotte le drapeau français. Annick note cependant que certains de ses collègues, eux, la traversent sans être immédiatement foudroyés. Il répond en souriant que ce n'est que partie remise. Il nous fait remarquer aussi qu'on se connaît déjà. Il semble vouloir sympathiser. Un bon signe ? Peut-être une manifestation de respect pour ces observateurs bénévoles.


Visite de Guy et Odile


Accueil détestable par une jeune policière, qui nous parle au micro, de derrière sa vitre. En patientant, nous entamons un dialogue avec un monsieur, l’air distingué, venu conduire un ami en visite au CRA. Son père est venu d’Algérie dans les années 50, lui est né en France et a pris à 18 ans la nationalité française. Il commence à dire qu’à l’époque, c’était mieux. Je l’arrête et rapidement il admet l’écrasement de la main d’œuvre immigrée, la vie en bidonville, les rafles pendant la guerre d’Algérie : son oncle a été raflé à la sortie de l’usine et est resté 4 ans à la Santé , mais à l’époque, c’est vrai qu’il y avait du travail. Il nous demande des info sur notre travail associatif. Son ami, la visite finie, sort du CRA. Il nous dit au revoir en nous remerciant de notre engagement.
Il y a aussi une dame : c’est une Française sans âge, manifestement cassée par la vie ; elle parle sans arrêt, en répétant toujours les mêmes phrases : elle vient voir son copain, elle craint qu’il n’ait pas envie de la voir, il veut voir sa famille qui elle ne s’est dérangée. Elle est curieusement habillée de rose. Au parloir, nous voyons arriver deux hommes et pendant quelques secondes, nous ne savons pas qui est le compagnon de la dame en rose. En fait, c’est le plus jeune, une espèce d’armoire à glace, bref un superbe gaillard. Côte à côte, ils se mettent à chuchoter en se tenant la main. Drôle de couple…
Notre « escorte » est réduite à sa plus simple expression : un jeune homme en civil, qui porte un simple brassard rouge spécifiant « Police ». En patientant au parloir, nous lui en demandons la cause : ses explications sont peu convaincantes : le port de l’uniforme dépend des missions exercées et est soumis à l’avis du chef de service. Soit, mais lui nous paraît plutôt être un simple agent de sécurité (emploi jeune formé en 3 mois !)


Première visite


Omar J+12


Au téléphone, la veille, Omar m’avait dit qu’il ne supportait pas son enfermement et qu’il faisait une grève de la faim.
Quand il est arrivé dans la salle des visites nous avons tout de suite perçu son état de grande faiblesse. Il nous a confirmé être en grève de la faim depuis 12 jours. Il a été contrôlé et arrêté gare de Lyon et placé au CRA de Vincennes.
Il est tunisien, est arrivé en France en janvier 2004 (bientôt 10 ans !!!), a 43 ans. Malgré son long séjour en France, Omar parle assez mal le français, et avec la privation de nourriture, il a vraiment du mal à s’exprimer. Il a, avec l’aide d’un avocat, déposé un dossier de régularisation en août. On n’arrive pas à en savoir plus. Sa sœur et son frère sont français, sa mère a une carte de séjour de 10 ans. Il vit chez son frère à Chatou.
Il nous dit être ébéniste et est passionné par ce qu’il fait avec le bois, mais ce qu’il tente de nous expliquer n’est pas toujours clair.
Il nous parle également des nombreux problèmes médicaux (maladie du sang avec mort des globules blancs produits, déficit en vitamine B12 ?) qu’il rencontre, de ses hospitalisations à répétition à Saint Germain en Laye. Il a vu le médecin du CRA mais veut voir un spécialiste. Il souhaite une hospitalisation.
Il refuse toute alimentation et même les vitamines qu’on veut lui donner.
Il semble avoir déposé une plainte par l’intermédiaire de l’ASSFAM et nous parle de saisir la justice européenne ; il trouve très difficile de joindre l’ASSFAM à cause du trop grand nombre de personnes.
Il est très fatigué et en colère d’être enfermé là sans avoir eu le moindre problème en 10 ans. Il souhaiterait, à travers son cas, faire un coup d’éclat pour attirer l’attention de l’opinion : il ne savait pas que les journalistes n’entraient pas dans le CRA…Nous le lui apprenons avec ménagement.
Il nous dit plusieurs fois qu’il ne supportera pas que le JLD lui redonne 20 jours.
Nous avons signalé son cas par courriel à l’ASSFAM.


Seconde visite.


En patientant entre les deux visites, je parle avec un jeune homme qui semble avoir du mal en français. Je lui parle en anglais, qu’il maîtrise parfaitement. Il est Bengalais ; son père journaliste, a été assassiné, lui a fui et demande le statut de réfugié, il a eu son entretien avec l’OFPRA il y a 6 mois. Il est confiant, car il a présenté des preuves du danger qui le menace au Bengladesh ; il apprend le français, habite Saint Denis, est très aidé par le Secours catholique. Il veut de- venir journaliste, comme son père. Actuellement, il travaille avec des réfugiés birmans. Je lui promets de lui écrire en français pour l’aider à améliorer son niveau. Il voudrait surtout des cours de langue à plein temps.


Nous avons vu, Christine et moi, M. Farid le 19 septembre dernier.  Il nous salue aimablement. Aujourd’hui, c’est son dernier jour de rétention, il sort demain. Il ne paraît pas en bonne forme, je le trouve maigri, avec mauvaise mine : c’est vrai qu’il jeûne aujourd’hui, veille de l’Aïd el Kebir, il est mal rasé.
Notre dialogue est étrange : d’un côté, M. Farid. nous confie son anxiété à l’idée de sortir du CRA et de se retrouver, à nouveau, seul et semble-t-il à la rue : il a bien gardé les adresses fournies par C., il y a un mois, mais paraît très seul, isolé, en fait, il est désemparé.
A côté de ces propos angoissés, il nous raconte avec un humour d’une terrible efficacité, des anecdotes sur la vie au CRA. « Autrefois, je mettais les pigeons en cage, et aujourd’hui, c’est moi qui suis en cage et les pigeons me ch… dessus ; c’est le monde à l’envers ! »
« Il y a un Africain chanteur de rap ; on l’interpelle d’une fenêtre à l’autre : Djibril, mon frère, chante-nous quelque chose ! Djibril a hâte de sortir, pour mettre par écrit tout ce qu’il a composé pendant sa rétention : il parle même de monter tout un studio, tant la rétention l’a inspiré ! »
«  Des amis, des vrais amis ? Alors là, je mérite un diplôme : je suis le meilleur pour noter les vrais et les faux amis ! »
Guy lui conseille de tenter de garder toutes ses preuves de séjour pour tenter de constituer un dossier, mais selon lui, la seule chance de s’en sortir serait le mariage. Or, les femmes deviennent méfiantes et redoutent d’être trompées. Pourtant, il ne demande pas grand-chose : un petit coin, avec un jardin à cultiver, le soleil et la mer. « La mer, regarder la mer, on a tout l’infini devant soi, on n’est plus enfermé… A Paris, on ne voit que des immeubles. Pas beaucoup d’argent, non, si j’avais beaucoup d’argent, je dépenserais tout, n’importe comment et Dieu m’en demandera compte. »
La visite se termine ; l’autre retenu, un Bengali, se lève et embrasse son jeune visiteur, il pleure.
« Mon frère, s’exclame S., ne pleure pas, tu vas me faire pleurer » Brusquement, ses yeux s’emplissent de larmes et avec précipitation, sans attendre l’escorte qui le rappelle à l’ordre, il s’élance vers la sortie.
Guy et moi, nous regardons, perplexes : toutes ces blagues, tous ces traits d’humour pour nous cacher son désarroi désespéré !
Une fois de plus, nous quittons le CRA, consternés.





Visite de Christine et Jacqueline


Nous décidons de ne faire qu’une visite car l’attente est longue : plusieurs personnes attendent, une seule policière est affectée à l’accompagnement des visiteurs, elle fait entrer une personne à la fois. Comme les fois précédentes, nous notons la présence de jeunes femmes qui viennent voir leur compagnon «  presque tous les jours », nous disent-elles.



B O., 27 ans,  au CRA depuis 12 jours


En France depuis 3 ans, il travaillait au marché de Barbès où il revend du matériel électronique quand il a été contrôlé et accusé d’avoir volé une tablette électronique, ce qu’il nie puisqu'il en a la facture. Il est resté 23 heures en garde à vue mais dit n’avoir pu ni téléphoner à quiconque, ni voir  un avocat ou consulter un médecin. Il a du signer sa déposition sans savoir ce qu’elle contenait car il ne lit pas couramment le français et n’a pas bénéficié d’un interprète. Il été directement acheminé vers le CRA sous le coup d’une OQTF. Le JLD l’a maintenu 20 jours en rétention. Nous lui demandons de voir avec l’ASSFAM si une poursuite pour vol  a vraiment été engagée par ailleurs.
Il a vu les consuls de trois pays du Maghreb, aucun ne l’a reconnu comme ressortissant de son pays. Pour cette raison, il ne semble pas craindre une expulsion. Pourtant les avis de vol sont nombreux : 7 sont affichés  pour les prochains jours. B O., signale le récent départ forcé d’un jeune majeur qui avait refusé un premier vol grâce à l’appui de passagers mais pas le second qui ne lui avait pas été annoncé la veille. il s'agit sans doute du jeune arménien Khatchik pour lequel une forte mobilisation a eu lieu.
Ce premier séjour en rétention a été difficile les premiers jours : salles de douche « sales », nourriture « immangeable » surtout à midi, en grande partie jetée. Il a reçu la visite de sa sœur et de son amie. Mais il est content de savoir que d’autres personnes s’intéressent au sort des retenus. Il a d’ailleurs été un intermédiaire efficace pour  nous mettre en contact avec d’autres retenus  que nous avons pu rencontrer.




Visite  d’Annick et Christine


Avant la visite, nous discutons avec 3 jeunes femmes qui attendent à l'accueil des visiteurs. L'une d'entre elle est presque une "habituée", elle est présente à la plupart des visites que nous avons effectuées ces dernières semaines car elle rend visite à son compagnon tous les jours, il a eu la peine maximale : 45 jours. "Le moral ? Il y a des hauts et des bas", confie-t-elle. Celui de son compagnon ? "Au plus bas". Une autre jeune femme intervient : "Il ne faut pas leur montrer. Tu dois être forte, pour eux c'est important." Enfermée dehors, le sourire aux lèvres en quelque sorte.
La seconde jeune femme raconte que son fiancé a été arrêté la veille. Un véritable parcours du combattant pour le retrouver après l'appel de la police. Visite de deux commissariats en vain : "Il n'est plus là, on l'a transféré ailleurs." Au deuxième, elle décide de téléphoner avant pour vérifier. Grand bien lui prend, on lui signifie que son compagnon a été envoyé à Bobigny, et puis non finalement c'est à Vincennes. Elle a prévenu son avocat. Elle a toutes les fiches de paie de son ami, il est en France depuis 5 ans et a déjà fait une demande de titre de séjour, mais son patron ne lui ayant pas fait de contrat, il n'a pas obtenu sa régularisation. "Celui-là, après m'être occupé du centre de rétention, je m'occuperai de lui." On la sent combative, une force face à l'absurde administratif.


Nous rencontrons A. N., CRA 1, 7e jour.


C'est un homme courbé, à l'air très fatigué qui entre. Il sourit avec peine. Les formules de politesse à peine échangées, il fond en larmes. C'est la première fois que je vois un retenu craquer. Ça fait mal. On se sent tellement impuissant. Christine lui explique ce qu'elle lui a déjà raconté au téléphone, pour lui laisser sans doute le temps de se remettre. "Nous sommes un groupe de personnes qui rend visite aux retenus pour leur apporter notre soutien et parce qu'on n'est pas d'accord avec le fait d'enfermer des gens qui n'ont rien fait." Puis elle l'interroge avec douceur. Il raconte son parcours, mais pleure à plusieurs reprises.
Quand il nous dit avoir 33 ans, nous sommes surprises mais ne le montrons pas. On lui en donne aisément 10 de plus, tant ses yeux sont cernés de noir, son visage triste et las, des rides parcourent son front. Le centre de rétention y est sans doute pour beaucoup, mais aussi la vie dure qu'il mène depuis 12 ans déjà. Ses mains sont restées jeunes et attestent de sa bonne foi. Il est électricien et a des doigts fins, sans doute habiles.


Il nous explique son parcours. Il connaît quelques dates par coeur, comme celle de son arrestation. Il est parti en 2001 du Maroc et a vécu pendant 7 ans en Italie, où il travaillait et avait un titre de séjour. Et puis en 2008, c'est la crise, il ne trouve plus de travail. Il décide de venir en France. "Avec un visa touristique", précise-t-il, comme s'il avait besoin de prouver son honnêteté. Il y travaille au noir, dort sur les chantiers ou chez son patron. Il a été arrêté au commissariat où il venait déclarer le vol de son portefeuille ! Pour la première fois depuis toutes ces années, il se retrouve en centre de rétention, brisé. "C'est la première fois. Mais je n'ai rien fait de mal !" Christine lui dit qu'il ne doit pas se sentir coupable, que le système est absurde, la loi (et la politique) française dure avec les immigrés, et que c'est précisément pour ça qu'elle est là, pour manifester son désaccord avec cette loi.


Il est terrorisé à l'idée d'être renvoyé au Maroc. Rentrer comme ça, sans rien. Sa famille vit là-bas. Il a une lourde charge à porter, il envoie de l'argent, assure ainsi la vie de ses parents, de sa femme et de sa fille désormais âgée de 3 ans. Il ne l'a vu qu'une fois à l'âge de 1 ans, lors d'un bref retour au pays. Il a même payé le mariage de sa soeur l'an dernier, 1200 euros. Fidèle à la solidarité qui unit les membres de la famille dans son pays, une responsabilité qu'il accepte d'assumer envers et contre tout, sans se poser la question. "Passer ici 30 jours, 45 jours ou plus, ça m'est égal, mais je ne peux pas retourner là-bas comme ça, sans rien".


Christine lui demande s'il avait son passeport avec lui quand on l'a arrêté, seule pièce à même de prouver sa nationalité et de faciliter son expulsion. Non, mais il a donné son ancienne carte de séjour italienne sur laquelle sa nationalité est indiquée. Christine lui conseille de se renseigner auprès d'autres retenus marocains, savoir s'ils ont vu le consul, comment se comporter avec lui, parler ou ne pas parler. Certains retenus ne disent pas un mot face au consul pour éviter la délivrance d'un laissez-passer autorisant la France à l'expulser. Christine tente de le rassurer, le consul marocain n'a pas la réputation de délivrer facilement des laissez-passer. Mais on sent l'angoisse sourdre chez cet homme. Il ne dort pas. Heureusement il ne prend pas de cachets, ces calmants qu'on leur donne si facilement dans le centre pour les faire dormir et endormir leur juste rébellion.


On lui promet de le rappeler, de revenir le voir, de lui amener quelque chose. Christine lui demande s'il aime les sudoku. "Les mots-croisés avec des chiffres ? Oui." D'habitude les observateurs ne visitent pas les mêmes retenus plusieurs fois, il y en tellement qui ont besoin d'aide, d'écoute, d'information. Mais dans des cas comme celui-là, quand ils sentent que le retenu est vraiment en grande souffrance, ils essaient de le revoir.


Sur son tee-shirt est écrit "Brave Players". Ce qui veut dire littéralement les joueurs courageux. On ne doute pas une seconde de son courage, mais on maudit le "jeu" malsain auquel la loi l'oblige à participer.






Colette et Annick


Je retrouve Colette à l'accueil du CRA. Elle demande deux noms de retenus que nous a donnés Christine qui n'a pas eu le temps de les voir. Les observateurs ne peuvent en voir qu'un nombre limité en une après-midi, les visites prennent entre trois quart d'heure et une heure, le temps légal de la visite est d'une demi-heure mais il faut y ajouter le temps de rentrer avec une éventuelle fouille au passage et celui de sortir raccompagné en bonne et due forme par un policier. Entre temps, d'autres visiteurs se sont inscrits, les policiers sont en sous-effectif chronique et autorisent rarement plus de deux visites consécutives. Du coup les observateurs enchaînent rarement deux visites de retenus mais doivent patienter "un certain temps" entre les deux. L'occasion de rencontrer parfois les autres visiteurs.
Ce jour-là, les deux noms demandés n'apparaissent plus sur la liste. Ils ont été libérés, ce qui confirme ce que le retenu que l'on vient visiter avait dit la veille au téléphone, à savoir qu'un des deux avait quitté le centre et que l'autre était en train de passer devant le JLD. Colette voulait savoir ce qu'il en était et c'est évidemment une bonne nouvelle. Nous irons donc visiter son interlocuteur de la veille. Mais le policier de l'accueil nous prévient qu'un ambassadeur est là et qu'il faudra patienter un temps indéterminé. Nous attendrons une heure, l'occasion de discuter avec Colette. Une vétérante parmi les Observateurs m'avait dit Christine, et ainsi que cette première rencontre me l'apprend, une vétérante de l'engagement pour les immigrés avec ou "sans papiers".
Elle me raconte que le retenu que nous allons voir était un peu méfiant au téléphone, ce qui arrive et que l'on peut comprendre, il lui a demandé son numéro de téléphone portable. Elle m'explique que pour la première fois, elle a prétendu ne pas en avoir, cela lui a déjà joué des tours. Notamment une fois où un ex-visité lui demandait de l'argent. "Ce n'est pas notre rôle, et puis on ne s'en sortirait pas." Elle me dit qu'au premier appel, elle a eu un retenu qui a dit être russe, mais il parlait mal français. "C'est compliqué quand un retenu parle mal le français. Ça arrive, j'ai même eu une fois une visite avec un monsieur chinois, on a parlé avec des dessins." Elle me montre son bloc notes sur lequel elle garde ses entretiens, elle retrouve celui avec les dessins : les lettres anglaises des 4 points cardinaux, une croix qu'il a dessiné lui laissant penser qu'il était chrétien, un coeur qu'il a également dessiné pour la remercier sans doute de sa gentillesse.
Pendant que nous discutons, je vois arriver, fidèle à son compagnon enfermé, la jeune femme qui vient tous les jours depuis que j'ai commencé à accompagner les observateurs. Elle atteindra bientôt elle aussi ses 45 jours.



Ali, CRA 1, 25e jour.


Colette prend des notes. Elle demande d'abord au retenu si cela ne le dérange pas. Elle ne note pas tout, mais les principaux points de la discussion. Celle-ci sera bien remplie et animée, le retenu s'exprime très bien et évoque beaucoup d'aspects, notamment les conditions de la rétention. Comme les autres observateurs, Colette pose des questions précises, elle doit notamment recueillir des informations sur les conditions de l'arrestation, la durée de la présence au centre, les conditions de la rétention. La conversation est facile, chaleureuse, on rit même parfois, chose plutôt rare. Ce retenu est particulièrement à l'aise.


Il a 33 ans et a un regard franc et vif. Il est grand, carré, soigné, ses cheveux sont bien peignés avec un peu de gel. Un beau jeune homme qui a l'air en pleine forme. Il nous apprend pourtant qu'il a perdu 10 kilos, car la nourriture n'est pas bonne ici, il ne mange que le repas du soir. Je m'abstiens de lui dire que cela lui va bien car ce n'est certainement pas son choix d'avoir droit à un régime forcé. Il parle très bien français. On imagine avec peine que cela fait 25 jours qu'il subit la rétention quand on pense à d'autres retenus rencontrés, et qui portent parfois en moins de 7 jours les stigmates de l'enfermement forcé et de la déprime. Sans doute une force de la nature.


Il nous explique qu'il a été arrêté à la station de métro Barbès. Il était sorti avec des amis pour une soirée dans le quartier de Pigalle. En rentrant chez lui, il s'arrête à une station pour acheter des cigarettes. Fumer nuit à la santé. En redescendant dans le métro, il est arrêté avec tout un groupe car deux personnes sont en train de se bagarrer. "Un prétexte pour nous contrôler", dit-il. Effectivement il ne connaît pas ces gens et lorsqu'on lui demande ses papiers, il dit ne pas les avoir et est emmené en garde à vue. Il affirme y avoir passé 24 heures, ce qui excède la durée maximum légale de 16 heures. Puis il arrive au centre de rétention, la première fois en 3 ans de présence en France.


Il est arrivé ici par un bateau en 2010. 180 personnes sur l'embarcation, 6 jours sans manger. Il est passé par la Sicile.
Il a un métier, chauffagiste. Il travaille régulièrement, souvent au noir, parfois avec des fiches de paie. Il nous explique comment il fait, avec une fausse pièce d'identité mais avec son véritable nom, ce qui lui permet d'avoir des fiches de paie à son nom, de cotiser pour les impôts et d'espérer un jour atteindre les 18 fiches de paie avec lesquelles il espère obtenir une carte de séjour. Il nous confie que ses employeurs arabes l'embauchent toujours au noir, parfois certains ne le payent pas. "Comment ils peuvent nous faire ça, eux?" Il n'a pas de logement fixe, s'arrange pour trouver un hébergement chez des amis, en change régulièrement. "Pas toujours facile".


Il nous parle du centre. Il est plein à bloc. "Dès qu'un retenu s'en va, un autre prend sa place." La machine tourne à fond. L'ambiance n'est pas bonne avec les agents de la GEPSA, la société sous-traitante pour l'hôtellerie et la nourriture. La nourriture est très mauvaise selon lui, du poisson tous les jours, parfois un peu de viande, "mais ce n'est pas halal". Ce n'est pas le point qui semble le gêner le plus mais surtout le mauvais goût, ou l'absence de goût, de ce qu'on leur donne. Il parle d'une grève de la faim qu'il a entamée avec quelques retenus. Qui n'a pas duré car il y avait une inégalité entre ceux qui reçoivent des visites et ont quelque chose à manger et les autres. C'était donc plutôt une grève des repas. Ceux qui n'avaient rien à côté allaient prendre les repas car ils ne tenaient pas. "Les policiers étaient très gentils avec nous, ils voulaient qu'on aille manger". Les policiers sont en effet en charge de la tranquillité du lieu et doivent éviter tout débordement. Une grève de la faim peut être source de beaucoup d'ennuis pour eux.
Il parle des autres retenus. "Il n'y a presque que des maghrébins ici". Il ne comprend pas la politique de la France. "Il y a un homme algérien, ça faisait 12 ans qu'il vivait et travaillait en France, il a deux enfants, on l'a arrêté à la préfecture où il allait pour renouveler sont titre de séjour, on la conduit ici et dès le lendemain il était expulsé dans son pays !" Il évoque aussi  deux retenus qui, après avoir donné leur passeport, ont été immédiatement inscrits sur un vol et expulsés.


Tout à coup, il nous demande pourquoi les journalistes ne viennent pas voir ce qui se passe ici. Colette lui explique qu'ils n'en ont pas le droit, seuls les députés et les sénateurs peuvent le faire, raison pour laquelle les observateurs s'emploient à motiver ces derniers pour qu'ils viennent visiter le centre.


Il a vu le consul algérien à deux reprises. A son arrivée, il a en effet soigneusement dissimulé son passeport et a donné un faux nom et une fausse nationalité, affirmant être algérien. A nous il dira qu'il est marocain. Avec le consul, il n'échange pas un mot la première fois. La deuxième, il refuse de lui parler en arabe, "il aurait tout de suite deviné ma véritable nationalité, nous on parle beaucoup plus vite que les Algériens". Alors il lui parle en français et lui explique pourquoi tout en lui avouant ne pas être algérien. Le consul lui sourit. A la sortie Colette me dira qu'il n'aurait peut-être pas dû avouer qu'il n'était pas algérien au consul, cela pourrait orienter les recherches vers un autre consulat.
Il nous dit aussi avoir vu le représentant de l'ASSFAM, mais que cela ne lui a rien apporté, il lui aurait même demandé son passeport ce qu'il a refusé bien sûr. Cela nous étonne, Colette se demande si nous avons bien compris.


Il doit revoir le JLD le lendemain et pense en reprendre pour 20 jours, mais ne manifeste pas de trouble par rapport à cela. Il est calme. Comme il n'a ni femme ni enfant, il envisage les choses sereinement et selon diverses hypothèses. Il souhaite bien sûr rester et travailler encore quelques années. S'il doit rentrer chez lui, il le fera mais il aimerait rentrer avec quelque chose, comme une camionnette pour son travail. Colette lui dit qu'il faut espérer qu'il n'aura pas une OQTF en quittant le centre. Ce à quoi il répond que tout le monde en a une en sortant. Il sait parfaitement que cela signifie en théorie l'obligation de quitter le territoire au bout de 7 jours.


Colette lui remet des cigarettes, des biscuits et la feuille avec les adresses des associations pouvant fournir aide juridique, médicale et assistance pour l'hébergement et la nourriture. Elle lui dit de ne pas hésiter à partager ces informations avec  les autres retenus.


A la sortie, Colette est perplexe sur sa véritable nationalité et pense qu'il est plutôt tunisien, effectivement lorsqu'elle lui a demandé pourquoi il avait quitté son pays, "le bled" comme il dit, il a parlé du manque de travail mais aussi de la révolution. Or on n'a pas entendu parler de révolution au Maroc. "Au fond peu importe d'où il vient", dit Colette, "ce qui compte c'est de savoir ce qui se passe ici et pour lui".



Visite d’Odile : le CRA des cœurs brisés.


Etrange visite, qui n’en est pas une. Aujourd’hui, nous n’entrerons pas dans le CRA, car après 3 heures et demie d’attente, nous avons renoncé. Dès 13h, à « l’accueil » ( guichet sonorisé et barres de fer à la porte), on nous annonce, une fois de plus, la présence d’un consul, ce qui va retarder l’heure des visites. Une famille (3 personnes, un couple âgé et une jeune femme) est toutefois admise, car nous dit la policière, un vol aura lieu cet après-midi. Cette famille est donc autorisée, à titre exceptionnel, à venir embrasser le retenu et à lui parler quelques minutes ; en fait nous les verrons ressortir une bonne demi-heure plus tard. Je ne suis pas superstitieuse, mais je ne peux pas m’empêcher d’y voir un mauvais présage et je regarde tristement cette famille accablée qui s’éloigne.


Résignées, nous patientons en bavardant avec les « habituées » : la jeune femme portugaise, qui vient tous les jours de Puteaux et l’étonnante dame en rose de l’autre jour, cette fois entièrement vêtue de tissus façon « panthère ». Son visage est plus reposé : elle est partie une semaine en vacance avec ses 2 filles et elle nous raconte, inlassablement, qu’on l’a forcée à monter à cheval, qu’elle mourait de peur et qu’elle s’est retrouvée à côté de la selle. Par ailleurs, elle se tourmente pour son futur mariage avec le retenu qu’elle vient voir : un beau gaillard, qui est sorti, malgré son interdiction, et qui du coup, a été interpelé Gare du Nord. Ce projet de mariage est compliqué : elle a déjà été interrogée à la Mairie et maintenant, son compagnon est convoqué au commissariat : comment retirer la lettre recommandée, puisqu’il est en rétention ?


Le temps passe et l’espace d’attente devant le CRA se remplit peu à peu de visiteurs plus ou moins désemparés : un jeune homme, qui a ses papiers portugais, vient voir son frère, deux jeune Asiatiques rendent visite à un ami, une jeune femme, d’une effrayante maigreur, baisse tristement la tête. Et puis, chose surprenante, il y a aussi « des Blancs », comme nous ! Une dame, qui s’occupe des mineurs isolés étrangers, vient rendre visite à un jeune majeur qu’elle a suivi, un monsieur vient au secours d’un ami musicien : il va l’aider à rassembler les preuves de séjour et  payer l’avocat : 500 euros par audience, il trouve la facture lourde, mais il n’a pas le choix.


Et puis, de nombreuses jeunes femmes, très jeunes et très tristes qui viennent voir leur mari, leur compagnon, leur copain. Leur jeunesse (et leur amour) dégagent une grande énergie, mais la tristesse de leur cœur déjà brisé par les aléas de leur vie à ses débuts est bouleversante.


Pourquoi cet arsenal de lois iniques s’acharne-t-il à séparer ceux qui s’aiment et qui sont, qu’on le veuille ou non, l’avenir de notre pays ?


Courage, mes petites sœurs, petites mains invisibles qui tissez, fil à fil, trop souvent dans la peine et l’adversité, la société plurielle, couleur d’arc en ciel, couleur d’espérance, qui, grâce à vous, est en train d’advenir !


Visite de Marie-France et Colette


Des gens attendent, dont une famille… L’enregistrement de notre demande à la guérite est accompagné d’une recommandation de « bonne conduite » envers les policiers. On nous demande notre carte d’identité dès cet instant… Précaution. Un policier nous fait savoir que nous sommes très correctes mais que d’autres ne le sont pas et se paient leur tête notamment en prétendant qu’ils ne sont pas une association. Je précise que nous ne sommes pas une « association ». La conversation reste tranquille ; le policier m’interrompt en disant que nous venons voir des gens que nous ne connaissons pas et que nous les contactons par les cabines. J’acquiesce mais précise que nous connaissons le retenu cité. Il connaît, me dit-il, les droits des étrangers etc. et que c’est lui qui décide si nous pouvons entrer ou pas. A quoi, je lui rappelle ce qu’il venait d’évoquer : le droit de visite. Bref, la conclusion a été de nous avertir qu’il y avait de l’attente et qu’il fallait informer les « autres » (c’est-à-dire nous) de se bien comporter avec les policiers qui détiennent le pouvoir de nous laisser entrer ou pas.
Attente dans la cabane où la famille se tasse pour nous laisser une place : le père, la mère, une petite fille de 4 ans et demi et un jeune en CAP. Ils viennent voir un jeune d’une vingtaine d’années, le fils aîné arrivé récemment rejoindre le père comme l’ont fait il y a plusieurs mois la maman et les deux autres enfants. Conseils de démarches urgentes à faire et communication des coordonnées d’une permanence sociojuridique que je connais bien à Clichy-sous-Bois (puisqu’ils y habitent maintenant). Cette famille entre pour la visite avec deux autres personnes. Un homme jeune, tunisien, s’approche de nous, il vient d’être libéré au 45e jour. Il attendait qu’on lui rende un sac qu’on l’avait obligé à déposer et qu’on ne trouvait pas. Il est très informé sur les processus, les droits etc. et très révolté par ce qui se passe tant au niveau des contrôles dans la rue que des conditions de rétention. Il nous dit qu’un vieil homme malade a été amené au CRA, complètement déboussolé. Il a été relâché le 2e jour, mais honte ! Nous sommes conviées à entrer, pas de « poêle à frire » et direct au parloir. Là, nous sommes témoins qu’un couple venu voir un retenu apprend que ce dernier « avait eu un vol » le matin à 6h. « Affirmatif », précise la voix de l’agent au téléphone que je peux entendre… « Il ne vous a pas téléphoné ? », demande l’agent qui nous avait accompagnés, eux et nous.
Le retenu que nous devons voir arrive après un petit délai.


A N., 33 ans, 17e jour de rétention, CRA1


A N. a déjà été visité par Christine et Annick. Il est visiblement plus apaisé, souriant même, dit qu’il n’a rien à faire avec les autres retenus qu’il n’estime guère parce qu’ils sont bruyants, qu’il y a de la drogue etc. Il précise que les policiers font bien leur travail et que c’est nécessaire. Il passe inaperçu, la preuve en est que l’on a eu du mal à le trouver quand j’ai appelé à la cabine : les repas et sa chambre où il semble avoir des cartes. Quand il était libre, il ne faisait que son travail et rentrait à « la maison » (celle d’un ami iranien qui est venu le voir au CRA). Il a aussi un ami marocain. Il travaille dans le bâtiment (peinture, électricité, plomberie, carrelage) depuis 13 ans en Europe. Il est en effet parti du Maroc (200 km au sud d’Agadir, la porte du désert) en 2001 avec un visa touristique de 45 jours pour la France. 5 jours après son arrivée en France, il est allé en Italie travailler. De 2002 à 2011, il avait des papiers italiens. En 2008, il vient à Paris et depuis 2011 est sans papiers. Il avait pu, avant 2011, ayant encore des papiers italiens, aller voir sa petite fille de 3 ans au Maroc. Il nourrit sa famille. Sa femme sait qu’il est au centre de rétention. Il a été contrôlé à la gare (il avait son titre de transport) et dit qu’il n’a « jamais vu ça » depuis 2001. Il n’a pas parlé au consul.