Septembre 2013

septembre 2013


Nous avons commencé nos visites en février 2012. Malgré le décalage entre la mise en ligne de ce blog et les premiers témoignages recueillis, nous pensons intéressant de les publier et de commencer par le début.
Ces premiers témoignages sont regroupés par mois. Nous rattraperons le temps jusqu'à faire coïncider les futures publications avec les périodes concernées et en publiant nos visites les unes après les autres.

Yveline  et Jacqueline

L’attente est courte, nous sommes seules, un seul policier nous accompagne après un contrôle sécurité rapide ; les retenus arrivent vite au parloir, nous les voyons ensemble car ils sont dans la même chambre et ont appris à bien se connaître.



N F, 24 ans, marocain, CRA 1, 22e jour
S H, 27 ans, marocain, CRA 1, 21e jour

Les profils des deux retenus sont semblables : jeunes, récemment arrivés en France (un an pour l’un, deux ans pour l’autre), pas de tradition familiale de migration (Aucun frère ou cousin déjà installé en France ou en Europe). L’initiative du départ a été  personnelle, ils expriment  un refus de vivre dans un monde marocain où, disent-ils en chœur,  il faut «  connaître des gens pour s’en sortir »… avoir des réseaux proches des autorités. Manifestement ces deux jeunes n’en disposaient pas, mais ils ont reçu une certaine instruction (Ils parlent d’ailleurs très bien le français) et ils aspirent à plus de liberté, à une vie meilleure : un travail, un foyer, des enfants « sans demander rien à personne ». 
Ils ont pris tous les risques pour rejoindre un pays riche de toutes les promesses de la publicité, des émissions de radio et de télévision francophones auxquels ils avaient accès au Maroc. A L a mis 6 mois pour arriver en France avec un grand tour par l’Algérie, la Tunisie, la Grèce, l’Italie… avec des passeurs et des galères de toutes sortes qui les ont mûris. Ils ont y perdu leurs illusions sur l’eldorado européen, car ils n’ont trouvé en France que des petits boulots à la journée, l’un au marché pour 20 euros par jour, l’autre dans le bâtiment aux conditions imposées par un patron qui n’a que l’embarras du choix.

Après un an de séjour pour l’un, deux ans pour l’autre, le constat est amer : « il y en a qui sont nés avec de la chance, pas nous… ». En fait, comme tous les jeunes du monde, ils voulaient explorer d’autres possibilités, voir du pays, faire leurs preuves mais alors que les jeunes Européens obtiennent des visas pour aller dans le pays de leur choix, les jeunes du Maghreb, de l’Afrique occidentale ne peuvent sortir de chez eux.





Elisabeth et Christine

Personne n’attend dans la guérite. Malgré cela nous attendons une demie heure avant d’être appelées. Le jeune policier très aimable ne fouille personne. Il dit qu’ils sont en sous-effectif, et que tout prend beaucoup de temps à cause de cela. Nous sommes redescendues avec lui jusqu’à la guérite quand il a raccompagné les autres visiteurs, et nous sommes aussitôt remontés pour voir le second retenu. Il n’y avait heureusement personne qui attendait. Par contre, quand nous sommes sorties, il y avait foule. Une des personnes venues visiter un retenu en même temps que nous, nous a demandé si nous étions avocats. Il ne comprenait pas du tout pourquoi son ami était retenu. Il travaille et ne fait rien de mal. Pourquoi l’enfermer ??? Le grand scepticisme affiché sur son visage reflète bien celui que nous rencontrons très souvent chez les retenus visités.


Ahmed, 21 ans, tunisien. CRA2 , J+6

Il a déjà été enfermé au CRA en janvier (45 jours)… 

Ahmed, est arrivé au CRA de Vincennes il y a 6 jours.
Il y a été conduit suite à une interpellation  (Paris 14e) alors qu’il fumait un joint dans la rue.
Sans papier, mais ayant déclaré son nom et nationalité (Tunisienne), il est passé devant le JLD, hier, dimanche. Il considère que le risque de reconduite à la frontière est faible dans son cas, (il n’a pas été expulsé à sa première rétention), même si le consulat tunisien est en mesure de le « reconnaître » puisqu’il a donné son identité. Il a de la famille en France (frères, sœur, tante) mais également au Canada et en Allemagne, et son frère notamment lui a rendu visite et apporté quelques vêtements.

Il a 21 ans ; il est arrivé en France il y a 1 an ½, en provenance de Tunisie par voie maritime et terrestre. Le coût du passage par mer (2 jours) était d’environ 1 000€. 
Il travaille pour un restaurateur grec (non déclaré), comme livreur ; sa tante l’héberge à Paris 14e.

Il a quitté l’école à 14 ans, se laissant attirer par la « vie des rues » et l’instabilité. Il ne travaillait pas vraiment ; un peu de plomberie mais pas de qualification.
Sans avenir en Tunisie, il tente sa chance en France où habite une partie de sa famille (un frère, une tante, des cousins). Dernier d’une fratrie de plusieurs enfants, il a des contacts avec ses parents, notamment avec sa mère, restés en Tunisie mais n’a pas communiqué sur sa situation. Il a une amie à Paris depuis quelques mois ; elle non plus n’est pas au courant de sa situation.
Ahmed espère se marier et avoir un enfant, ce qui faciliterait l’obtention de la nationalité française.
Il conserve les « preuves » de son séjour en France (Pass Navigo, mais pas grand-chose d’autre...) afin d’avoir au bout de 5 ans suffisamment de preuves indiquant son ancienneté sur le territoire en vue d’une demande de carte de séjour.
Il se dit heureux d’être en France et ne voulant pas retourner en Tunisie.

Pas d’information particulière sur ses conditions de détention en dehors du fait qu’il a été transféré au CRA 1 ce matin, suite à une altercation avec un autre détenu. « C’est chaud là-dedans ».

Refuse de prendre des calmants malgré une certaine nervosité.

Un jeune homme ouvert, « regrettant ses actes passés », avec la volonté de s’intégrer. Il dit avoir beaucoup changé depuis qu’il est ici, et qu’il trouve maintenant aberrant d’être arrivé à l’âge adulte sans rien dans les mains pour pouvoir s’assumer. En dehors de papiers d’identité, une formation serait nécessaire afin qu’il puisse s’insérer en France. Son frère lui a proposé de travailler avec lui en cuisine (mais non déclaré) à sa sortie du CRA.






Hossein, nationalité non déclarée. CRA 3, J+24

Arrêté avenue Daumesnil suite à une bagarre dans un café. 
En France depuis plus de 20 ans, Hossein n’a jamais réussi à avoir des papiers.
Il ne veut pas révéler sa nationalité et parle d’un petit pays dont personne ne parle. Il a déjà vu plusieurs consuls, il reste encore la Lybie et le Maroc.
Il nous dit que son identité au CRA n'est pas la bonne.
Nous avons beaucoup de mal à comprendre son histoire. Non qu’il s’exprime mal, au contraire, mais il est difficile de comprendre pourquoi ce nom n’est pas le sien, mais celui que la police considère comme étant le sien.

À la suite d’une peine de prison il y a plusieurs années, il a eu une première IDTF qui a été annulée suite à son recours. Puis une autre en 1997, qui dit-il, a normalement aussi été annulée. Mais l’officier de police qui l’interrogeait a prétendu, d’après lui, que son dossier ne comportait pas cette information. C’est le prétexte qui a été retenu pour le conduire au CRA.
Ce sont ses empreintes digitales qui ont permis de retrouver son dossier.
Hossein est sûr qu’il n’a rien à faire là et que normalement il devrait être libéré. Nous essayons de lui dire que le simple fait qu’il soit sans papiers suffit pour les autorités à le conduire ici, il n’en démord pas. Étant donné la durée de son séjour ici, on peut le comprendre.
Suite à sa dernière peine de prison, il s’est rangé, et a monté une vraie-fausse boîte d’enseignes et de façadiste. Là encore, c’est assez obscur, toujours est-il qu’il ne peut pas se servir de ce travail pour régulariser sa situation. Pourtant d’après lui, son affaire marche très bien et il s’en sort bien. A ce titre, il s’inquiète de ses clients et fournisseurs car étant au CRA, il n’est pas en mesure de suivre ses affaires.
Il a fait appel de son jugement au premier JLD, mais ne s’y est pas rendu. Son avocat, comme le premier, lui semblant vraiment trop mauvais.

Nous sortons de cet entretien assez mal à l’aise. Cet homme a beaucoup de bagou et semble très sûr de lui. Il prend un grand soin à formuler ses réponses à nos questions. Il n’a apparemment pas besoin de soutien matériel. Cependant il a éprouvé le besoin de nous rencontrer, ce qui semblerait indiquer qu’il a, malgré l’assurance qu’il affiche, ressenti la nécessité de raconter son histoire.


Il n’a pas l’air d’être inquiet d’une éventuelle expulsion. Étant donné le nombre de consuls qu’il a rencontrés, il est certain qu’il y a des difficultés à établir sa nationalité et donc à l’expulser.



Odile et Christine.

Cette fois encore, nous sommes confrontées au problème « consul ». En effet, arrivées de bonne heure, nous sommes rapidement introduites au parloir, où on nous annonce qu’il faut repartir : le consul d’Algérie est là et il est hors de question d’avoir ensemble des visites privées et celle du consul. Dépitées, nous faisons demi-tour, sortons pour patienter et bien sûr, nous taillons une bavette avec les autres visiteurs. Pour une fois, il y a un autre « Européen » qui attend, très BCBG, costume sombre. Il venu voir un ami tunisien. Comme la situation n’est pas habituelle, nous posons des questions : il s’agit d’une rencontre de hasard, entre un jeune tunisien de 23 ans et lui-même, cadre informatique. Notre interlocuteur nous parle avec finesse de l’espèce de vertige qu’il éprouve en découvrant le monde où évolue son ami maghrébin : le monde des trafics en tout genre et même de la petite délinquance ; « une autre planète » nous confie-t-il. Il raconte la générosité de ce jeune homme, qui après « un bon coup », envoie tout à sa mère, quitte à dormir dehors, mais n’hésite pas à le solliciter en cas de grosse galère. Le jeune immigré (il est là depuis 3 ans) a déjà été retenu au Mesnil Amelot. Nous apprenons ainsi qu’au Mesnil Amelot, la confidentialité des visites privées est totale : bon à savoir pour nous, nous ne manquerons pas d’en faire état.
Nous nous tournons ensuite vers un majestueux Africain : l’histoire de ce Malien, appelons le Monsieur X., est stupéfiante. Titulaire d’une carte de séjour espagnole, il se rend au pays pour mettre sa famille, qui habite Ségou, à l’abri à Bamako, pendant « les évènements ». Pour pourvoir à leurs besoins, il se rend en France et s’inscrit à Pôle Emploi. On lui affirme qu’il peut travailler avec sa carte de séjour espagnole !!!  Ce dernier service téléphone en Espagne pour s’assurer de la validité de sa carte : pas de problème, la carte est valide. Notre homme est inscrit. Mais Patatras ! L’employeur, auprès de qui il a trouvé un emploi, et qui connaît mieux les règles que Pôle emploi, lui déclare que cette carte n’est pas valable en France. Il retourne voir Pôle Emploi qui s’avise qu’une carte espagnole ne permet pas de s’inscrire dans ses services… Monsieur X. parle et lit le français et il cherche à faire valoir ses droits, qu’il connait. Ayant épuisé les recours contre Pôle Emploi en France, il se rend en Espagne pour renouveler sa carte, et là re Patatras ! Les Espagnols lui signifient que, s’étant rendu en France (et ils le savent, via le coup de téléphone de Pôle Emploi…) il ne peut pas renouveler sa carte espagnole !
 Cerise sur le gâteau : Monsieur X., de retour en France se rend encore une fois à la Pôle Emploi pour tenter de faire valoir ses droits ; cette dernière appelle la police : Monsieur X. est enfermé au CRA.
Aujourd’hui, il vient d’être libéré, il patiente dehors pour pouvoir récupérer ses papiers ; et comme c’est la même équipe qui gère les visites et la remise des affaires aux libérés, il fait comme nous, il patiente plusieurs heures…
Nous entamons un 3e dialogue avec une jeune femme tunisienne, enceinte, qui veut rendre visite à son frère, arrivé depuis peu et enfermé depuis 3 jours. Elle a ses papiers et ne connaît rien aux procédures de rétention : elle s’informe, avec angoisse, auprès de nous, puis des policiers, qui montrent une certaine sollicitude au vu de son état. Son frère travaillait dans une pizzeria (il semble que ce soit le boulot-type des sans papiers) et il s’est fait arrêter, car il a malencontreusement grillé un feu rouge à scooter.
Si nous n’avons vu qu’un seul retenu, après 2h50 d’attente, nous ne manquons pas de récits de vie à faire connaître ici !
Lorsque nous entrons enfin, nous repassons à la fouille et pouvons constater que celle des libérés (qui viennent rechercher leurs affaires), est particulièrement minutieuse. Pour nous, on nous revide nos boîtes de gâteaux et on repasse au peigne fin le malheureux « Parisien » que nous avons apporté !
Les policiers de cette équipe sont impressionnants de jeunesse : on dirait des adolescents…M. Farid, que nous allons voir, nous confirme que la majorité des policiers est très correcte, voire sympa, mais que d’autres sont violents, agressifs, provocateurs et les tutoient.

M. Farid, nationalité ? CRA 1, R+18
Arrêté dans la rue, gardé à vue 2 jours sans que l’on puisse comprendre pourquoi. Âgé de 35 ans, en France depuis 6 ans.
M. Farid a besoin de parler. Nous aurons du mal à poser nos questions. Il parle un très bon français. Il dit n’avoir jamais enfreint (sic) la loi. Il a trébuché sur le verbe mais le connaissait. Il parle de manière assez imagée et métaphorique. On sent qu’il a un assez bon niveau de culture.
Après avoir annoncé une nationalité tunisienne au début de l’entretien, il nous dit  ensuite être lybien et à ce titre, il voudrait être reconnu réfugié. Il a vu le consul tunisien mais n’a pas parlé de peur que sa nationalité soit découverte. Il est venu via la Tunisie et l’Italie. C’était ça ou prendre les armes, pas le choix. Pas question d’y retourner, maintenant le pays est foutu. Si Sarkozy n’était pas intervenu ce ne serait pas comme ça.
Tunisien ou Lybien, peu importe. La galère est la même. Il est seul en France, sans famille. Il lui reste une sœur au pays. Au début il a eu une petite amie française qui l’a quitté au bout de plusieurs mois, mais c’est, dit-il, grâce à elle qu’il a appris le Français. Il vit de petits boulots, peintre, déménageur, livreur de pizza, bâtiment… Dort dans les squats, dehors ou hébergé par le 115 quand il y a de la place. Il raconte de façon très précise la façon de s’introduire dans les cages d’escalier pour y passer la nuit : quand un résident entre, il faut bloquer la porte avec le pied, laisser monter la personne, puis s’introduire et se cacher. Mais maintenant, nous dit-il, les gens sont plus méfiants : si on bloque la porte, ils crient à l’agression…Un tel récit est marqué au coin du réel.
 Il invoque souvent Allah. S’il n’est pas pratiquant il est croyant et pense que nous avons tous un destin. Ce qui compte c’est de ne pas faire le mal et d’être honnête. C’est la seule chose qui peut le sauver, si ce n’est dans ce monde, ce sera dans l’au-delà. Malgré la galère, il ne perd pas espoir. Un jour il espère pouvoir se marier et s’en sortir.
Il dit avoir perdu 18 kilos, cela nous semble un peu excessif, mais il est en effet assez maigre. Il ne mange qu’une fois par jour, le soir, parce que la nourriture est meilleure que celle de midi qui est immangeable. C’est la première fois que nous entendons citer cette différence. À vérifier. Malgré la tension et le stress, il refuse de prendre les médicaments que l’infirmière à l’air de donner d’office. Il en a pris le premier jour et a eu l’impression d’être drogué.
Nous lui donnons la liste des permanences juridiques, et surtout celles concernant les soins et les repas gratuits. Si nous lui rendons visite une autre fois, il demande que nous lui apportions un recueil de mots barrés.

Annick et Christine


M. A., congolais, CRA1, J+11.

Je retrouve Christine à l'accueil des visiteurs du CRA, une cahute en bois, face à l'entrée du centre. Nous aurons droit à un simple contrôle de nos pièces d'identité, qui ne nous seront rendues qu'à notre départ. Christine me dit que c'est exceptionnel, normalement nous avons droit à une fouille. Sans doute, pense-t-elle, car nous sommes seules et qu'ici, on commence à la reconnaître.
Nous nous dirigeons vers la salle de visite en traversant plusieurs cours, un assemblage complexe de bâtiments, de préfabriqués, de passages, on y croise de nombreux uniformes. Le centre de rétention de Vincennes est intégré dans une école de police.
Arrivés au bas de l'escalier du préfabriqué dévolu aux visites, le policier qui nous accompagne apprend que le retenu que nous devions voir vient d'être libéré. Une nouvelle dont Christine se réjouit. Elle donne un deuxième nom de retenu qu'elle doit également visiter ce jour-là, elle l'avait eu au téléphone en appelant une des cabines téléphonique du centre.
On nous fait monter, poser nos sacs sur un banc et on s'installe à une table en attendant l'arrivée du retenu. Nous sommes "surveillées" par deux policiers, un en uniforme et un en civil (c’est une première et c’est un peu bizarre..! Manque d’effectif ?). Christine me prévient que le retenu en question à l'air assez loquace, ce qui n'est pas le cas de tous ceux qu'elle visite.
Lorsqu'il arrive, nous le saluons et entamons la conversation.

Il a 34 ans, mais en paraît plus. Il s'exprime très bien, et nous surprend par une vision très philosophique de la vie.
Christine lui demande depuis combien de temps il est là ? Il répond que cela fait 11 jours. "C'est dur ?" "Très dur..."
Il raconte son arrestation dans le quartier de Jaurès. Il n'avait pas de papiers. On le convoque au commissariat 5 jours plus tard, il s'y rend, soucieux de montrer sa bonne foi car il souhaite régulariser sa situation en France. Un policier lui avait pourtant expliqué qu'il pourrait ne pas y aller, mais lui préfère rester autant que possible "en règle". Christine lui précise qu'il est trop honnête... Effectivement, sans titre de séjour valable, il est alors transféré au CRA de Vincennes. La première fois en 15 ans de présence en France.

Il est arrivé ici en 1998. Originaire du Congo, il est d'abord allé au Maroc en demandant le statut de réfugié. Là on lui explique qu'il n'y a pas assez de travail et qu'il devrait aller en France. On lui fait prendre un bateau pour Marseille. Il s'y retrouve en centre de rétention, dans le sinistre et insalubre centre d'Arenc, sur le port, remplacé depuis par celui du Canet. "Personne ne vous explique ce qu'il faut faire, c'est un marocain qui m'a expliqué la procédure à suivre pour faire une demande d'asile". Après plusieurs tentatives, il ne réussit pas à obtenir le statut de réfugié. Il nous raconte alors un va et vient avec l'Espagne pas très compréhensible. Il aurait été envoyé dans ce pays, où il aurait plus de chance de réussir. Il y est bien reçu, avec accueil, apprentissage de la langue, etc… Mais là aussi, "on " décide que sa place est plutôt en France où "on" le renvoit… ? Il se retrouve à l'âge de 19 ans dans un foyer pour jeunes migrants. Il vit en France depuis 15 ans sans papiers.
Il raconte comment il s'était fait arrêter une première fois en 2010. Il venait d'effectuer un travail au noir chez un particulier, un "arrangement" comme il l'appelle, et il devait toucher la deuxième partie de la somme convenue quelques jours après la fin des travaux. Le jour dit, il se présente au domicile, mais le propriétaire ne répond pas et appelle la police. Les policiers l'arrêtent devant la porte, le propriétaire leur avait dit qu'on tentait de forcer sa porte. Il nie, s'explique, mais il ne touchera pas la somme promise et se retrouve avec un arrêté de reconduite à la frontière, mais libre. Il ne quitte pas la France.
S'ensuit une discussion avec Christine sur la législation de l'APRF. Selon elle, l'APRF n'est valable qu'un an et a dû tomber de lui-même depuis. Lui certifie que non, que visiblement cela traîne dans son dossier, que les règles ne sont peut-être pas les mêmes pour tout le monde. (En fait il a raison. Un APRF de moins de 3 ans permet à la préfecture la mise en rétention. D'après lui, c'est sous ce motif qu'il y a été placé). Il a d'ailleurs fait appel de cet APRF en 2010, mais le juge a déclaré qu'il lui manquait des éléments, et il n'a pas pu les rassembler depuis. Il n'a donc pas pu mener son recours au bout.

Christine l'interroge ensuite sur les conditions de vie dans le centre. Il parle de violences. – A ce moment-là, la discussion entre les deux policiers présents semble s'arrêter, et je me demande si c'est une coupure naturelle dans leur conversation ou bien s'ils pratiquent une surveillance discrète de la nôtre, reprenant leur vigilance auditive à certains mots clefs... Notre visite s'en est rendu compte également, car à entendre ce subit silence, il jette un coup d'œil furtif vers eux. Mais leur conversation repart, comme s'ils souhaitaient nous montrer que nous étions libres de communiquer. Christine me racontera d'ailleurs que cela n'a pas toujours été le cas et qu'au début de leurs visites, certains policiers les écoutaient de près. Elles s'en sont plaint auprès du commandant du centre, et depuis les choses semblent avoir changé. Un peu plus tard, on entend une sirène de police, et à nouveau, le retenu aura un léger temps d'arrêt et un coup d'œil furtif en direction du son, comme s'il redoutait que ce soit pour lui–.
Il poursuit sur la violence dans le centre, semblant évoquer plutôt celle qui peut naître entre les retenus. Il raconte qu'il a ainsi demandé à changer de bâtiment - il y en a 3 dans ce centres de rétention : le CRA 1, le CRA 2, et le CRA 3- car il se sentait isolé (menacé?) à cause de la religion, son nom n'ayant pas une "consonance musulmane", il se sentait dans la ligne de mire des autres retenus pour la plupart de confession musulmane. Il évoque alors la religion comme un des maux de l'humanité et parle de l'omniprésence des communautés religieuses dans la vie. Mais sur sa vie en France depuis 15 ans, il ne dit pas grand chose, semble amer, a vécu des choses dures, très dures, la rue, il confie même avoir vu mourir un compagnon d'infortune sur un banc à côté de lui. Il évoque la loi du plus fort en toute chose, dit qu'on ne peut pas lutter contre ça. La seule manière c'est de se tenir en dehors. C'est comme cela qu'il explique le peu d'amis qu'il a.

Christine propose de le mettre en relation avec des associations qui pourraient l'aider à sa sortie du centre. Mais il refuse, affirme avoir tout essayé, connaître toutes les associations d'aide aux étrangers. On lui a toujours répondu avec des affirmations érodées. "Et si on réquisitionnait tous les bureaux des associations, il n'y aurait plus de SDF". Il semble tout à la fois fataliste et presque remonté contre ces structures, affirmant qu'elles ne peuvent rien et d'ailleurs affirme-t-il, dans le centre il ne voit personne consulter l'association présente sur ce CRA, l'ASSFAM.
Sur les conditions de vie dans le centre, il parle encore de la saleté, "les gens crachent partout, si vous sortez sans être malade, vous avez de la chance". De ses gardiens, il raconte que la première chose que les retenus entendent le matin c'est : "Bonjour, l'infirmerie est ouverte". Christine le met en garde sur ces cachets à but massivement calmant. Il le sait, n'en prend jamais. Il dit aussi que seules deux toilettes fonctionnent dans le centre, les autres ont été fermées, ainsi que les douches, on ne sait pourquoi.
Puis il évoque son passage devant le juge, "cela dure quelques secondes, je me suis même amuser à compter : j'ai vu 6 retenus passer en deux minutes !" Christine explique qu'il s'agit du juge des libertés, il n'est pas là pour écouter l'histoire des gens mais seulement pour contrôler s'il y a une erreur dans la procédure d'arrestation et de mise en rétention ou non. Lui, comme beaucoup d'autres, ne retient que la formule: "bonjour, 20 jours".

Au bout de 30 minutes de conversation, un des policiers nous interrompt : le temps de la visite est terminée. Christine propose à nouveau de laisser une liste de contacts des associations d'aides aux étrangers en situation irrégulière. Il l'accepte.
Puis elle remplit un sac en plastique transparent avec des biscuits et des cigarettes qu'elle lui a apportés.
Nous repartons avec un drôle de sentiment, celui d'avoir entendu des réflexions parfois très sages, quoique souvent fatalistes, tout en se demandant si au-delà de la désillusion ne se mêlait pas parfois de la pure paranoïa, bien compréhensible hélas pour quelqu'un qui vit dans la clandestinité et la précarité depuis 15 ans dans notre beau pays des droits de l'homme. Et aussi en nous, cet autre sentiment, celui de ne pas savoir comment l'aider, lui qui prétend avoir déjà tout tenté, refuse toute aide des associations, et pourtant semble bien déterminé à régulariser sa situation en France.