De l'autre côté...

Compte rendu de la réunion du vendredi 11 octobre avec le responsable de l’UNSA Police Grand Paris.



Nous avions sollicité cette rencontre pour plusieurs raisons :

  • lors de nos visites aux retenus, nous ne manquons pas d’échanger avec les policiers qui nous accompagnent au parloir ; nous les avons même sollicités en urgence pour changer un retenu de CRA, car il se plaignait (en pleurant) du racisme qu’il subissait de la part de ses co-retenus ;
  • par ailleurs, en tant que visiteurs individuels, nous manquons d’informations sur de nombreux aspects de la vie au CRA, que nous ne connaissons que via les paroles des retenus.
Cette rencontre était donc la bienvenue et a été fructueuse et enrichissante, loin des discours convenus, de la langue de bois et des plaintes sur « le manque de moyens ».

D’emblée, nous avons compris la situation paradoxale de la police à l’intérieur des CRA. L’UNSA Police considère que ce qui leur est demandé relève de la pénitentiaire : en effet les gardiens de la paix sont formés et doivent agir dans le cadre du Code pénal (constatation des délits), en particulier, mais pas seulement dans les lieux publics. Leurs conditions de travail au CRA sont si pénibles qu’il y a beaucoup de congés maladie. De fait, ils peuvent s’estimer contents quand ils sont à peu près 28 en tout pour s’occuper du CRA. Les 300 personnels annoncés par le Commandant Marey incluent tous les policiers affectés au CRA y compris celui de la cité, les transports, l’armurerie, le service des coffres, etc. Ils n’ont reçu aucune formation pour ce travail qui demande une grande diplomatie étant donnée la tension permanente qui règne. Du coup beaucoup de policiers souvent très jeunes ne savent pas du tout s’y prendre et cela crée des tensions supplémentaires. En général, les policiers sont affectés au CRA au sortir de l’école de police et patientent en moyenne 2 ans pour avoir leur changement.

Que se passe-t-il au CRA ?
  • Les policiers agissent dans un lieu fermé, « confiné » pour reprendre leur terme ;
  • Ils veillent essentiellement à un fonctionnement pacifique et sans vague du Centre ; soit, mais pratiquement, que se passe-t-il ?
  • Le règlement engendre bien des tensions : ainsi les distributeurs d’eau et de cigarettes ne sont ouverts que de 9H à 11h et de 15h à 17H, le retenu qui a laissé passer l’heure sera d’autant plus prompt à perdre son sang-froid. Les rasoirs jetables sont distribués de 8h à 9h par la GEPSA (qui assure la logistique) et récupérés après : il faut les recompter pour vérifier que les lames n’ont pas disparu : on craint toujours les tentatives de suicides et les automutilations ;
  • Dans cette atmosphère suspicieuse et tendue, les policiers essuient continuellement les prises à partie, les insultes dont les abreuvent les retenus et…contrairement à ce qui se passe            « dehors », ils doivent encaisser et ne peuvent pas verbaliser.
  • Les bagarres sont fréquentes : pas facile d’intervenir. Les « rondiers » sont peu nombreux et les retenus ont le bénéfice du nombre. Un policier peut se retrouver facilement avec 50 retenus agressifs en face de lui, car dans ces cas-là, comme partout, tous s’unissent contre le gardien.
  • Les policiers ne se sentent pas soutenus par leur hiérarchie, qui cherche avant tout à étouffer les problèmes. A tout prix, il faut que le calme règne et c’est pourtant loin d’être le cas.
  • En revanche, ils sont maintenant « fliqués » par les personnels de la société GEPSA, à qui on a demandé de signaler les retards de policiers. Des flics, fliqués par une société privée !
Cette situation paradoxale a très vite des conséquences à la limite de l’absurde :
  • Par mesure de sécurité, les briquets sont interdits au Centre. Si les allume-cigares ne fonctionnent pas, les retenus, qui trompent l’ennui en fumant, sont contraints de demander du feu aux policiers. C’est humiliant pour les retenus, mais c’est vécu par les policiers comme :      « On est là pour leur allumer les cigarettes » ;
  • Le départ au tribunal pose aussi des problèmes : les retenus, dorment mal et, assommés de médicaments, dorment profondément le matin : les policiers doivent les réveiller, sans entrer dans la chambre et pensent souvent : « En fait, on est des baby-sitters » ;
  • Les retenus ne manquent pas, naturellement de narguer la police : ils grimpent au sommet des fameuses « cages de promenade » et refusent de descendre ; les chambres ne sont pas fermées : les retenus trouvent mille astuces pour coincer la porte etc. Et si un détenu veut porter plainte contre un autre ? Les policiers présents ne peuvent pas recevoir cette plainte : le retenu doit s’adresser à l’ASSFAM.

De façon générale, l’obsession de la sécurité prend des proportions aberrantes :
  • Il faudrait en fait effectuer des palpations de sécurité sur chaque visiteur et les policiers s’y refusent (nous pouvons en témoigner) ;
  • A la suite de l’évasion de 11 retenus en septembre (ils ont scié le grillage d’une cage, qui a apporté la scie ?), on a construit un fumoir. Il s’agit d’une petite cage, construite à l’intérieur de la grande cage, où les retenus, qui fument après 23h, doivent se rendre. Cette mise en abyme des cages donne une impression de cauchemar.
  • Les policiers sont bien conscients que chaque mesure pour renforcer la sécurité provoque une dégradation de la vie des retenus. 
Et pourtant, ce regard sans concession des policiers de l'UNSA rencontrés, sur leur travail en CRA reste empreint d’humanité à l’égard des retenus. Certains policiers ont souvent de bonnes relations avec eux. Dans ce cas, ils sont parfaitement conscients du sentiment d’injustice ressenti par les retenus « qui n’ont rien fait ». Ils ne voudraient pas être à leur place, ils comprennent leur révolte, leur agressivité, leur violence, leur stress devant le panneau d’annonce des vols. Ils s’indignent par ailleurs que pour éviter des ennuis, les vols ne soient pas systématiquement annoncés et que des ruses soient utilisées pour coincer un retenu qui doit être, non pas expulsé mais, « éloigné » !

Nous avons fini, après deux heures d’échanges intenses, par constater que la rétention était une source de grande violence pour les retenus, ce qui entraîne beaucoup de stress pour les policiers et que ce système d’enfermement était inadapté.
Un pas vers une revendication commune de sa suppression ?