Les visites de février et mars 2013

Février

Visite faite par Jacqueline.

Ce jour là l’attente est longue, dehors dans le froid. J’attends plus d’une heure seule puis une maman et sa petite fille me rejoignent ; comme je me plains du froid, la maman me dit que le samedi matin précédent, elles ont attendu plus de deux heures... Deux policiers qui ne ramènent aucun visiteur finissent par venir nous chercher alors qu’un troisième visiteur nous rejoint.

Nous avons commencé nos visites en février 2012. Malgré le décalage entre la mise en ligne de ce blog et les premiers témoignages recueillis, nous pensons intéressant de les publier et de commencer par le début.
Ces premiers témoignages sont regroupés par mois. Nous rattraperons le temps jusqu'à faire coïncider les futures publications avec les périodes concernées et en publiant nos visites les unes après les autres.

N C, 25 ans, 25ème jour de rétention.

N C n’entretient manifestement aucune illusion sur la possibilité de faire valoir ses droits dans la situation où il se trouve : le jour même, il a refusé de se rendre au Palais de justice pour son passage devant le deuxième Juge des libertés et de la détention, trouvant inutile d’y aller pour entendre « Bonjour, 20jours ! », « C’est plié d’avance ! »

Il dit avoir très mal supporté l’entassement dans le car de police pour s’y rendre, l’attente pendant des heures dans une trop petite salle du Palais de justice, pour un jugement expédié en très peu de temps. Il n’avait pas non plus confiance dans un avocat commis d’office qui prendrait connaissance de son dossier à la dernière minute. Comme je m’étonnais de son attitude, il affirma : « Pour nous les Tunisiens, c’est 45 jours de toute façon ! » Il est vrai qu’en 2012, les Tunisiens ont été particulièrement ciblés par la politique de l’enfermement, 41 % ont été expulsés, le double de la moyenne pour les autres retenus, toutes nationalités confondues.


En France depuis 5 ans, N C a quitté son pays après ses études car il n’a pas trouvé de travail ; « aujourd’hui, c’est encore pire avec les troubles politiques », « je ne peux y retourner alors je voudrais bien revoir ma famille ». Ici, il a travaillé régulièrement sur les marchés. Mais son patron ne veut pas lui faire une promesse d’embauche car cela coûte cher. Donc il n’a pas de feuilles de paie à présenter pour un dossier de régularisation…

Il a une vision très critique de la rétention : « les gens y entrent normaux, ils en sortent fous, ce sont des zombis s’ils ont pris des médicaments, ou ils en sortent avec la rage ».

Il ne prend pas de médicaments et a trouvé des camarades avec qui il s’entend bien. Mais il s’ennuie à mort, rien à faire en dehors de la télé. Je lui demande « Qu’aimeriez-vous faire ? Lire ? » Il me répond « oui, lire ! ». Je lui propose alors le livre d’Ernest Hemingway que j’ai lu dans la baraque d’accueil ; ce n’est que plus tard que je me suis rendue compte de l’humour involontaire du titre « Paris est une fête » … Ce n’est pas le cas pour tous ces jeunes Tunisiens francophones qui ont pourtant rêvé de la France !




A. B., 20 ans, 26ème jour de rétention.

A. B. est très jeune et ne donne pas l’impression d’être vraiment troublé par son séjour en CRA, ni par les étapes de la procédure. Il ne semble pas se laisser entamer par l’enfermement car, il s’évade grâce à son téléphone portable qu’il manipule sans arrêt de ses deux pouces. Il m’explique qu’il attend une réponse par SMS de sa copine actuellement en Normandie, elle va venir le voir un dimanche, seul problème : « venir en train, cela coûte cher ». Il tourne sans arrêt une jolie bague autour de son auriculaire et dit fièrement : « C’est elle qui me l’a donnée.» Manifestement il est agité par les préoccupations habituelles de tout jeune homme du même âge… Je n’ai plus envie de le faire parler sur sa situation de retenu, je l’interroge sur sa famille restée au pays : il était fils unique jusqu’à ce que ses parents lui fassent la surprise d’une petite sœur il y a deux ans : il regrette de ne pas la connaître car il aime beaucoup les enfants avec qui il joue dès qu’il en rencontre chez des amis. Puis il me demande si j’ai des petits-enfants etc. La conversation à bâtons rompus s’engage loin de la situation digne de Kafka dans laquelle il va se débattre pendant des années. Car il n’est pas près de rentrer dans les conditions de régularisation telles qu’elles sont édictées ( Seulement 3 ans de présence en France, mais aucune préoccupation de conserver des preuves de vie dans ce pays, ces preuves irréfutables qu’il faudrait précieusement accumuler pour les présenter un jour à la Préfecture)… Mais au bel âge de ses 20 ans, il n’a pas conscience des années de galère qui l’attendent, du moins s’il n’est pas expulsé de façon expéditive un jour prochain …




Visite faite par Jacqueline


Aucune autre visite ne s’annonce pendant les 40 mn d’attente. Un seul policier, pas de fouille. « Comment allez-vous cette semaine ? » me demande aimablement le jeune policier qui vient me chercher.


M K, 27 ans au 28ème jour de rétention


Dés que j’aperçois M K, je me doute que l’entretien avec ce jeune homme timide dont la façon de se tenir traduit d’emblée la vie difficile (épaules voutées, regard implorant, il ne manque que le bras déployé devant le visage pour éviter les coups !) va me laisser une impression durable de malaise et d’impuissance …

L’échange est difficile car ayant séjourné plusieurs années en Italie, il mêle l’italien au français, parle bas… Il n’a pas eu la chance d’apprendre le français à l’école bien qu’originaire d’un pays francophone car il n’a été qu’à l’école coranique, il a travaillé très tôt dans la pêche artisanale pour aider sa famille pauvre. C’est cependant avec ce maigre bagage qu’il a affronté les dangers de l’immigration vers l’Europe : on devine les coups qu’il a du prendre avant d’acquérir le minimum de repères pour survivre… Où en sont ses espoirs aujourd’hui alors qu’il dit être enfermé pour la deuxième fois ? (La première fois il a été retenu dans la zone de rétention d’un aéroport.)
En France depuis 3 ans, il a été arrêté pour contrôle d’identité à la gare de l’Est, gardé 4h au commissariat puis emmené au CRA sous le coup d’une OQTF : l’ASSFAM lui a bien expliqué la procédure, il ne se plaint pas des conditions de vie au CRA (Il dort beaucoup, regarde le foot à la TV…)

L’entretien est un peu laborieux : j’essaie de lui expliquer que s’il reste en France (Ce qui est possible car il n’a jamais eu ni passeport ni carte d’identité, aucun consul ne peut le reconnaître comme citoyen de son pays), il lui faudrait se renseigner pour suivre des cours d’alphabétisation et malgré une vie errante (Il loge chez un « cousin »…) veiller à conserver des preuves de vie sur le territoire ( examens médicaux, courriers adressés, titres de transport à son nom, quittances de loyer partagé...) pour les faire valoir lors d’une demande de régularisation ultérieure quand il en remplira les conditions… En attendant combien de galères pour ce cas d’immigré non expulsable mais non régularisable ? Situation à laquelle pensait Thierry Tuot dans son rapport sur l’intégration en proposant des « visas de tolérance » pour éviter les retours au CRA de ces sans papiers….





Visite par Agnès et Danielle.


Tout semble paisible aujourd'hui, du soleil, pas d'attente malgré deux visites l'une après l'autre, pas de raquette/poêle à frire/poêle à gaufres, un seul agent souriant pour nous accompagner et nous ramener à chacun de nos allers et retours ; tout ? Presque, si ce n'est les interrogations angoissées des deux retenus visités, mais malgré tout souriants et heureux de cette visite, et le disant, à la fin de l'entretien … Oui, il faut venir et les écouter les retenus du CRA de Vincennes.
Fred, (CRA1), Congo, J+2, 45 ans, contact cabine.

Arrivé en France à 24 ans, en septembre 1991, Fred a été arrêté il y a deux jours. Et il nous raconte son histoire, ému, fataliste aussi s'estimant "né pour souffrir".

Il y a un an, Fred a fait une demande de régularisation à la préfecture ; il dépose son dossier (avec des preuves de vie en France sur 20 ans !) et est enfin convoqué fin janvier ; on lui donne une nouvelle convocation, et un récépissé, pour la mi-février. Mercredi dernier il est contrôlé et arrêté car il n'a pas son récépissé avec lui ; conduit au commissariat, il ne s'inquiète pas trop : ça lui est déjà arrivé et il a été libéré après vérification auprès de la préfecture.

Mais à Asnières, pas de chance comme le reconnaissent les policiers qui vont l'emmener au CRA : il y a un fonctionnaire bien connu qui ne se donne pas le mal de téléphoner à la préfecture, Fred "est mal tombé", disent-ils, et il découvre le CRA pour la première fois, dans une chambre à 4 lits, "privilège" du CRA1, dans laquelle les copains fument, ce qui est interdit, mais …

Le Jeudi, un copain lui apporte son récépissé, l'ASSFAM est avertie, doit le revoir ; nous lui conseillons de vite y aller après notre visite.

Fred a de la famille en France, un frère régularisé, professeur de technologie ; lui, il travaillait dans une société de surveillance, en poste dans un lycée, très apprécié dans son travail.

La carte de séjour de trois mois tant espérée lui permettrait d'aller enfin voir sa mère, aujourd'hui paralysée, voyage au Congo qu'il n'a jamais pu faire depuis son arrivée en France en 1991.

Nous devons partir, Fred nous remercie très chaleureusement de notre visite, nous dit que le plus dur ici c'est la privation de liberté ; nous espérons avoir très vite la nouvelle de sa libération.



Dimanche soir 17 février, par téléphone : Fred a été libéré samedi matin et pourra être demain à la préfecture de Sarcelles.





Lionel (CRA3), Gabon, J+16, 26 ans, contact cabine.


En France depuis décembre 2005, il attend avec impatience d'avoir 10 ans de séjour pour déposer un dossier à la préfecture.

Jeune très sympathique et souriant, au CRA pour la première fois, qui a des frères en France et de la famille plus éloignée et régularisée. Il est venu avec un visa de trois mois par avion jusqu'en Espagne, puis a rejoint ses frères en France.

Titulaire d'une carte d'Aide Médicale d'Etat, il nous explique longuement les conditions nécessaires pour l'obtenir ; la carte AME lui permet aussi d'avoir un passe navigo à demi-tarif et donc il est toujours en règle dans les transports raconte-t-il avec malice ! Malgré cela, et par hasard dirait la police, il s'est fait arrêter fin janvier aux Champs Elysées, avec son amie qui, en règle, a été relâchée immédiatement. Il n'arrive au CRA que le lendemain vers 21h et n'a pas vu d'avocat pendant cette bien longue retenue, (qui ne devrait pas excéder 16h).

Au Gabon, il allait à l'école coranique et faisait de la menuiserie et de la pêche ; ici, il travaille comme déménageur et est hébergé dans un foyer parisien pour étrangers.

Notre visite dure manifestement longtemps, nous sommes seules visiteuses dans la salle avec ce retenu qui ne se plaint de rien, sourit beaucoup, nous raconte qu'il n'est pas reconnu par l'ambassade du Gabon, qu'il va avoir 20 jours de plus lors du deuxième JLD, mais après il sortira, et quand il aura 10 ans de présence, il ira à la préfecture pour avoir une carte de séjour… enfin, il espère, et nous avec lui, que tout se passe ainsi.



Mars


Visite par Colette et Christine



Y.H. (CRA2), Chine, J+3, 36 ans, contact sur place après informations de l’ASSFAM transmises par RESF.

La communication est très sympathique mais très difficile faute de langue commune. Des informations déjà connues, des gestes, une convocation au T.A. pour le lendemain matin, un papier et un crayon permettent quelques précisions.

Y.H. est arrivé en France en 2002 avec sa femme avec qui il est marié depuis 2001. Il a deux enfants : une petite fille restée en Chine et un petit garçon de 3 ans et demi né ici à Paris, qui est scolarisé depuis 2012. Ils habitent tous les 3 un appartement dans le 10e arrondissement. Je crois comprendre que son enfant a des problèmes de santé (pied et parole ?).
La demande d’asile, qu’il a faite il y a plusieurs années, a été rejetée. Il fait l’objet d’une ancienne OQTF en date de 2012. Il a déjà été retenu au CRA de Vincennes en 2012.
Y.H. a travaillé dans la restauration puis dans la couture.




Lundi : j’apprends par l’ASSFAM que le recours au T.A. a été rejeté et que 
Y.H. était hier matin devant le JLD. Résultat : 20 jours. La personne de l’ASSFAM tente un recours auprès du JLD et essaie de contacter à nouveau RESF.





Visite par Jacqueline et Christine


Personne n’attend dans l’abri réservé aux visiteurs, le préposé de l’accueil continue tranquillement ses parties de solitaire. Nous aurions pu visiter quatre retenus ce jour-là mais le quatrième n’a pas répondu aux quatre appels lancés à son nom.



Amine C., CRA1 – Algérien de 32 ans – J+26

Arrivé en Espagne en 2006, mais, le travail se faisant de plus en plus rare, il est ensuite venu en France.
Il a été arrêté dans la rue à la suite d’un appel à la police à cause d’une bagarre à laquelle il n’était pas mêlé.
Il arrive à vivre depuis 5 ans en travaillant sur les marchés, et se débrouille pour le logement de squats en hébergement d’urgence.
Il est actuellement dans un squat connu et toléré par la police.
Il est le seul de sa fratrie à ne pas être marié. Toute sa famille (9 frères et sœurs en tout) est en Algérie.
Il a malheureusement perdu les preuves de ses 3 premières années de présence en France.
Il n’a aucun papier d’identité. Il a vu le consul, mais ne lui a pas parlé, ce qui a été cité par le JLD devant lequel il est passé hier, et qui lui a donné 20 jours de plus.
Au moment de son arrestation cela faisait seulement 1 mois qu’il venait de sortir du CRA du Mesnil-Amelot, où il a passé 25 jours.

On peut se demander à quoi ça rime de garder au CRA quelqu’un dont apparemment on ne peut pas prouver l’identité. Il y a-t-il vraiment une chance d’arriver à l’expulser ? Combien il y en a-t-il comme lui dans les CRA, et combien cela coûte-t-il au contribuable ?




Visite faite par Christine et Jacqueline

Pas d’attente à l’extérieur, Jacqueline ayant demandé tout de suite les visites en arrivant. Tant mieux car il fait encore bien froid étant donnée la date. Le policier du guichet lui a demandé si elle était d’une association. Il y avait longtemps que cela n’était pas arrivé. Ceux qui nous emmènent sont aimables.

Un grand contraste aujourd’hui, entre les retenus visités. Nous avons pu en rencontrer trois.

Comme d’habitude un francophone a répondu à notre appel aux cabines ; Algérien, il nous a aussi donné le nom d’un autre ami tunisien. Les Maghrébins représentent en effet au moins les deux tiers de l’effectif des retenus.

Selon le décompte des associations habilitées à intervenir en zones de rétention figurant dans leur rapport 2011, les Tunisiens ont constitué la première nationalité expulsée en 2011, un retenu tunisien sur deux a été reconduit à la frontière (la moyenne des expulsions sur l’effectif total étant de 18%) : belle solidarité du pays des droits de l’Homme à un processus de démocratisation au sud de la Méditerranée !
En 2013, la même sélection est à l’œuvre puisque près de la moitié des retenus sont Tunisiens au CRA de Vincennes.

Les retenus francophones ont du mal à communiquer avec les autres nationalités faute d’une langue commune ; Indiens(4), Pakistanais(1), Egyptien(1), Georgiens, Albanais, Chinois, Congolais, aussi quelques sud-américains, …sont cités de mémoire par notre interlocuteur.
Nous lui avons demandé de nous mettre en contact avec ces retenus pour que nos visites puissent rendre compte d’une réalité plus complète des retenus dans ce CRA.





M.S., Algérien, 30 ans, 27e jour, au CRA 3

Pendant la visite, 
M.S. se montre très communicatif et manifeste sa joie d’avoir une visite car il s’ennuie beaucoup, « Ce n’est pas ma place ici ! », « Moi, Madame, je n’ai jamais volé même quand j’étais dans la galère ! ». Il est étonné de voir quelqu’un manifester de la solidarité avec des sans papiers, croyant que tous les Français assimilent ces derniers à des délinquants. Lui-même semble avoir intériorisé l’idée car il semble confondre rétention et détention, retenue et punition. Il avoue des moments de découragement et a dû demander un somnifère pour dormir.

Il a été arrêté à Barbès, où il avait donné rendez-vous à des amis. Contrôlé, en possession d’une fausse carte de séjour indispensable pour le travail qu’on lui proposait, il est resté 24h en garde à vue puis a été emmené au CRA.

Depuis 2 ans en France, où il n’a pas de famille, il a survécu avec des petits boulots au marché pour se nourrir et se loger (Il ne dira pas où). Il vit dans l’espoir de fonder une famille avec sa copine, française, de parents algériens, et pour protéger ses enfants par une bonne éducation,

« Sans faire d’histoires » pour qu’ils obtiennent des diplômes. Lui-même reconnaît qu’adolescent, il n’a pas fait tout ce qu’il fallait pour avoir son bac et avait eu des difficultés pour trouver du travail en Algérie.




A. H. Nationalité pas claire, sans doute tunisienne. 28e jour de rétention, au CRA 3.


Depuis presque 3 ans en France, arrivé par l’Espagne avec un visa, 
A. H.  grand et beau jeune homme de 24 ans d’allure très soignée, me dit tout de suite les anomalies de son arrestation : contrôle au faciès dans la rue alors qu’il se rendait à son travail. Les policiers de l’autre côté de la rue l’ont repéré, et l’ont interpellé. Menottes, puis coup de pied quand il est au poste. Il travaille dans une boulangerie, déclaré sous une autre identité que la sienne, ce qu’il me dit d’un ton gêné en expliquant qu’étant donnée la législation, il n’a pas eu le choix.

Du CRA, il se dit choqué du mélange des personnes retenues : clochards, roumains, voyous et gens normaux. Il ne comprend pas que tout le monde soit mis dans le même sac. Beaucoup de bruit, surtout la nuit : portes qui claquent, cris, tensions et engueulades entre les différentes communautés représentées. Il est très difficile de dormir. La nourriture est vraiment mauvaise. Sans parler de la viande qui n’est pas halal, on n’est même pas sûr de ce qu’on mange, si c’est vraiment ce qui est écrit…

Il n’a pas de famille en France mais des connaissances et amis, qui apparemment lui ont permis de bien se débrouiller et de s’intégrer. Il a un frère aîné au Canada et une sœur au Pays-Bas, qui sont déjà venus lui rendre visite en France. Le reste de sa famille est au pays.

Il a fait une formation d’animateur, mais a voulu venir en France par curiosité. Beaucoup de jeunes là-bas me dit-il, à force de voir la France à la télévision, ont envie d’y venir. Le problème, c’est qu’une fois qu’on y est, et qu’on s’est habitué à la vie d’ici, avec le confort et tout le reste, c’est difficile de retourner au pays. Pour lui c’est un piège.

Il a eu me dit-il plusieurs opportunités de se marier ici, mais ne l’a pas fait, parce qu’il trouve que les femmes y sont trop libres et n’ont pas de bonnes mœurs.

Il voudrait bien retourner au pays mais avec un vrai projet, et se marier là-bas.

Il a vu le consul mais ne lui a pas parlé. Il ne pense pas être expulsé, et bien sûr ce n’est pas de cette manière qu’il voudrait rentrer chez lui.



Kumar, Indien, 37e jour au CRA3.

La communication est très difficile car 
Kumar ne connaît que quelques mots de français, ne parle pas l’anglais contrairement à ce que nous avait annoncé notre intermédiaire francophone qui avait d’ailleurs prévenu que lui, il ne communiquait que par signes avec les non-francophones.

Mais d’emblée nous avons compris l’essentiel : ce retenu est très content d’être au CRA car il dort au chaud, mange trois fois par jour et n’est pas l’objet de violences… contrairement à l’extérieur où il a vécu démuni de tout ! Il n’a pas de travail régulier (il distribuait des publicités dans les boites aux lettres lors de son interpellation pour contrôle d’identité) donc pas d’argent pour se loger, SDF il dort où il peut, dans le métro quand il fait froid…

Sa terrible situation nous fait comprendre que notre liste d’associations permettant une assistance médicale, une assistance juridique ne suffit pas, ce type de retenu est dans la survie au quotidien, c’est le droit à la vie au sens matériel du terme qu’il faut lui assurer … Or il ne connaît pas le 115, les restos du cœur…. Il semble vivre complètement isolé, sans lien avec d’autres Indiens, alors qu’il est à Paris depuis 3 ans ! Nous le sentons dans un dénuement complet, écrasé par les difficultés à surmonter, totalement vulnérable. Sans doute ce que voulait dire notre contact en signalant « qu’il était un peu bizarre ».

Il nous est très difficile de concevoir ce que peut représenter mentalement une telle situation.

Il nous apparaît indispensable de tenir à la disposition de ce type de retenus des adresses de centres d’accueil plus nombreux : leur problème étant avant tout social.